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dimanche 28 décembre 2008

Géographie et conflits - conférences de l'Université de tous les savoirs


L'Université de tous les savoirs met en ligne plus de 4 000 vidéos de conférences, parmi lesquelles on retrouve quelques interventions sur les conflits en cours et les problématiques géopolitiques. Voici les liens et les résumés de quelques-unes d'entre elles en lien avec les guerres urbaines, les violences urbaines et les enjeux des conflits en cours. A noter, certaines conférences sont agrémentées de documents pédagogiques (notamment les textes des conférences et les diaporamas présentés par certains conférenciers). Retrouvez également toutes les vidéos sur la géographie.


"Les évènements recensés au quotidien dans les villes, les réseaux de transports, les immeubles de logements à vocation sociale, les banlieues qui marquent les limites sans cesse dépassées de la rurbanisation de notre pays, alarment à juste titre citoyens, élus, journalistes. Elles ne représentent pourtant qu'une part relativement faible des agressions verbales ou physiques supportées par les représentants des administrations, des services publics ou privés avec leurs usagers, clients ou certains habitants. Leur développement, leur violence, la jeunesse de leurs auteurs, interpellent le système social et politique qui a longtemps feint d'ignorer les réalités quand il ne s'est pas réfugié dans la contemplation de la confrontation illusoire entre les tenants d'une prévention sociale limitée à son seul objet, et les laudateurs d'une répression sans âme ni objectifs autres que l'affirmation de la force. Sans compter les tenants de la logique du "bouc émissaire", responsable par nature ou par couleur de peau, de tous les maux... Rien ne serait pire que de jeter l'anathème ou de s'isoler dans une stricte observance niant la complexité des problèmes posés. Il faut savoir sortir de l'affrontement entre deux intégrismes essayant chacun de démontrer la justesse d'affirmations relatives sans jamais fournir de mode d'emploi permettant de répondre à la demande sociale, ni même d'admettre que l'écoute des populations concernées pouvait précéder l'affirmation d'un dogme scientifique. Au delà du principe occidental qui renvoie la violence vers les pulsions purement animales, il faut rappeler qu'elle est d'abord une affirmation de soi. Elle a même pu, parfois, accoucher du progrès dès lors qu'elle répondait à une violence plus grande encore."


Les conflits et les guerres de demain (Jacques Lanxade - 2000)
"La conférence débutera par une présentation de l'évolution de la situation stratégique du Monde après le bouleversement introduit par la fin de la guerre froide. Il s'agira de montrer comment nous vivons une période de transition de l'ordre international bipolaire vers un nouvel ordre. Une deuxième partie proposera une typologie des crises et des conflits qui devraient marquer les années à venir. Elle précisera les cadres dans lesquels ces conflits pourraient être gérés. La troisième partie exposera les caractéristiques des armées de demain. Elle montrera l'évolution d'armées nombreuses, reposant sur la conscription, vers des forces professionnalisées utilisant le progrès technologique."


Kenya, conflits et territoires (Bernard Charlery de la Masselière et Franck Vidal - 2008)
"En janvier 2008, après la réélection contestée du président Kibaki de violents affrontements secouent Nairobi, la capitale du Kenya. Si les médias ont bien souvent résumé ces violences à des oppositions interethniques, le point de vue du géographe, spécialiste de l’Afrique de l’Est replace le conflit dans un contexte beaucoup plus large : c’est à travers la géographie du Kenya - terre de contraste et de diversité, mais aussi à travers tous les processus de définition des territoires mis en place par la colonisation anglaise et enfin, à travers les phénomènes de mondialisation économique qu’il est nécessaire d’analyser les évènements actuels au Kenya."


"Faut-il encore parler de l'ère de la globalisation ? Celle-ci a succédé à celle de la guerre froide, ce qui semblait indiquer que désormais la dimension économique, sociale et culturelle l'emportait sur les conflits internationaux et la violence. Certes, ceux-ci n'avaient pas disparu : la globalisation produit des réactions violentes, nationalistes, ethniques ou religieuses, et contribue, avec la chute de l'empire soviétique, à la prolifération d'Etats faibles mal assurés de leurs unités et de leurs frontières, et de zones de non-droit qui se combinent avec celle des réseaux mafieux. Mais le 11 septembre 2001 introduit une nouvelle phase caractérisée par le terrorisme apocalyptique et la montée d'un empire américain décidé à s'appuyer activement sur la force militaire. Les divisions classiques entre paix et guerre, entre régions pacifiques ou troublées, entre militaires et civils, entre la violence des Etats et celle des réseaux sont mises en question. Des civils tuent des civils, ils surgissent du sein même du centre pour l'attaquer de l'intérieur de ses frontières, mais ils viennent des quatre coins du monde, et c'est là que la riposte ira les chercher. C'est une nouvelle forme de globalisation, celle de la violence."


L'humanitaire et les ONG (Claude Simmonot - 2000)
"Quand il est question d'humanitaire de quoi est-il en fait question ? L'histoire de la construction actuelle du mouvement humanitaire s'appuie sur quelques dates-clés que nous évoquerons mais c'est peut être dans un contexte plus contemporain, celui de notre dernière moitié de vingtième siècle qu'il faut identifier ce qui sous-tend le travail des organismes de solidarité internationale. Aujourd'hui, et après un travail de près de vingt ans, nous sommes confrontés à un certain nombre de défis, mais également confrontés à d'importants paradoxes. Les défis actuels touchent entre autres à l'exigence de professionnalisation, aux risques de normalisation de nos actions, à la dégradation des conditions de sécurité, à l'inaccessibilité de vastes zones géographiques dans le monde. Les paradoxes sont de gérer un travail complexe trop souvent présenté de façon simpliste. C'est également l'utilisation abusive du terme humanitaire au point que son sens devient flou. C'est, dans la confrontation à la double étrangeté liée à l'expatriation et la rencontre avec les personnes handicapées, la capacité de reconnaître en soi pour mieux les gérer ces perceptions complexes de la nature humaine."


Les ONG et la question humanitaire (Sylvie Brunel - 2003)
"En préambule, un constat s'impose : l'explosion des ONG depuis la fin de la Guerre froide, et leur rôle croissant sur la scène internationale. ONG « de terrain » comme mouvements de lobbying et de sensibilisation, ONG du Nord et du Sud, ONG « associatives » mais aussi ce que les Anglo-Saxons appellent les « GONGOS » (gouvernemental NGO...) tirant leurs ressources de financements publics, les ONG sont partout, l'humanitaire fait recette et ses hérauts figurent en tête des personnalités préférées des opinions publiques occidentales Mais déjà un premier paradoxe se fait jour : pourfendeurs de la mondialisation, les ONG en sont pourtant les principales bénéficiaires. La prolifération du mouvement associatif est en effet un pur produit de la mondialisation : jamais les mouvements associatifs n'ont pu bénéficier de telles caisses de résonance, de tels moyens médiatiques et de communication pour faire entendre leur voix. Le second paradoxe nous est fourni par le discours des ONG. Dans le concert souvent dissonnant de leurs multiples revendications, émerge une constante : l'hostilité à toutes les formes de représentations traditionnelles du pouvoir et de la diplomatie internationales. Aux Etats, aux entreprises, aux agences institutionnelles de l'ONU et de ses organisations dérivées (FMI, Banque mondiale, OMC...), les ONG prétendent substituer une légitimité auto-proclamée, la leur. Elles seules incarneraient la « société civile », les autres acteurs ne pouvant être que des imposteurs. Et qui plus est, des imposteurs malfaisants. La deuxième question est donc celle de la légitimité des ONG face aux autres acteurs des relations internationales. D'autant que leurs dénonciations tous azimuts leur valent un courant de sympathie dans l'opinion publique et contribuent au discrédit de l'action politique classique. Cette posture nous amène à nous poser une troisième question. Celles des actions menées par les ONG depuis leur « prise de pouvoir » dans les enceintes internationales, et de leurs bilans. Nul ne peut nier la justesse de certaines de leurs prises de position, les avancées du droit international qu'elles ont pu permettre d'obtenir, leur rôle nécessaire de sentinelle face aux excès et aux abus en tous genres que peuvent produire des logiques purement commerciales ou stratégiques. Néanmoins, deux questions essentielles méritent d'être soulevées : - les ONG ne sont-elles pas guettées elles-mêmes, précisément en raison de leur succès, par les dangers majeurs qu'elles ne cessent de dénoncer : le manque de transparence, les coûts de fonctionnement de plus en plus lourds des appareils, l'absence d'évaluation des actions ? - l'action humanitaire contribue-t-elle vraiment, aujourd'hui, au développement ? Cette question est la plus essentielle de toutes : c'est elle qui justifie l'existence et les moyens d'action des ONG, puisque celles-ci, rappelons-le, n'existent à l'origine que pour contribuer au développement (et, depuis une décennie, au développement dit « durable »). En ce domaine, quelles leçons tirer de l'expérience des trente dernières années ? "


Et également :
- Les courants migratoires vers l'Europe (Jean-Claude Chesnais - 2006)

Nommer les lieux : une problématique en géographie culturelle et politique


Plusieurs manifestations récentes posent la question de "nommer les lieux". Au FIG 2008, Pierre Jaillard (Président de la Commission Nationale de Toponymie) s'est interrogé sur le sujet "Toponymes : une source de conflits ?". Au mois de novembre, le Café géo du Flore à Paris amènera un débat sur "Dire le monde en plusieurs langues". Et en juillet, une émission du Dessous des cartes a été consacrée à la question "Nommer le monde". La diversité de ces manifestations montrent combien la question se pose à plusieurs échelles.


Comme le montre Jean-Victor dans l'émission Le dessous des cartes : "Choisir un nom géographique n’est pas neutre mais traduit bien souvent une vision, une représentation d’un espace, voire sa domination. Les dénominations géographiques, loin d’être symboliques, sont aussi sources de contentieux". Une réflexion qui rejoint les travaux du géographe Paul Claval, spécialiste de géographie culturelle et de géographie politique. Mêlant cette double analyse, le sous-chapitre "Nommer les lieux, qualifier les espaces" dans son ouvrage Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux commence ainsi : "Il ne suffit pas de reconnaître et de s'orienter. L'explorateur veut conserver la mémoire des terres qu'il a découvertes et les faire connaître à tous ; pour parler des lieux et des milieux, il n'est d'autre moyen que de procéder au baptême du terrain et à l'élaboration d'un vocabulaire propre à qualifier les diverses facettes de l'espace" (Armand Colin, collection U, Paris, 2003, p. 121). C'est ainsi, pour citer un exemple bien connu, que les grands découvreurs ont baptisé les terres qu'ils exploraient transformant ces "terra incognitae" en terres connues. Et l'on pense à la contribution de Jacques Cartier sur la toponymie canadienne. Aujourd'hui, toutes les terres de la planètes sont connues et on ne trouve plus de "terra icognitae". La question de "nommer les lieux" reste pourtant d'une très grande actualité. Comme le montre Paul Claval, "la toponymie est un trait de culture et un héritage culturel. [...] Il arrive aussi que les noms changent brutalement dans tout un espace à la suite de l'instauration d'un nouveau pouvoir, d'une invasion, ou du triomphe de nouvelles modes. Nommer les lieux, c'est les imprégner de culture et de pouvoir" (op. cit., p. 121). Et l'on pense aux exemples des indépendances des pays d'Asie centrale. ici, changer les noms des lieux (tout particulièrement des villes) reflète une volonté d'imposer les symboles du nouveau pouvoir. Si l'on prend l'exemple du Kazakhstan, on constate qu'aux lendemains de l'indépendance, les proches du pouvoir n'ont pas forcément changé : en 1991, l'équipe dirigeante est restée au pouvoir, et le Kazakhstan a conservé sa bourgeoisie d'Etat. Néanmoins, la volonté de changer le Kazakhstan a été marquée dans le territoire, par les nombreux changements de noms, surtout ceux des villes les plus connues. Bien évidemment, le changement radical du nom de la capitale est un symbole fort de l'affirmation d'un nouveau pouvoir : Tselinograd est devenue Akmola avant de se transformer définitivement en Astana. Autres changements à noter : le passage du nom de Djamboul à celui de Taraz, de Gouriev à Atyraou, de Chevtchenko à Aktaou, de Léninsk à Baïkonour, de Kzyl-Orda à Ak-Métchet à Kzylorda... Plus que le nombre de ces changements, c'est leur sens qu'il faut interroger : dans la plupart des cas, il s'agit avant tout d'une adaptation des noms au kazakh, devenu langue nationale. Mais, dans le cas des villes les plus connues, considérées comme des géosymboles pour la population locale comme pour l'opinion publique extérieure, les changements de noms sont plus radicaux, et le sens de tels changements est à rechercher dans une volonté de rupture avec l'identité précédente, ici soviétique. Comme dans les autres pays d'Asie centrale, il s'agit avant tout de marquer l'espace par des noms symbolisant l'indépendance avec une signification double : se libérer des marqueurs territoriaux de l'ère soviétique et ancrer l'identité nationale nouvellement acquise à travers des géosymboles et des noms. Cette démonstration de l'utilisation des hauts-lieux et des noms se lit également dans le cas du Turkménistan (voir à ce propos l'ouvrage de Cécile Gintrac et Anne Fénot Achgabat, une capitale ostentatoire. Urbanisme et autocratie au Turkménistan). Dans toute l'Asie centrale, les noms des villes, et tout particulièrement des villes-capitales (véritables vitrines vers l'extérieur), ne pouvaient plus être des symboles du passé soviétique, mais deviennent des symboles de l'identité nationale, pour marquer l'appropriation spatiale du nouveau pouvoir sur un territoire uni par une identité (avec toutes les contradictions qu'imposent la recherche d'une identité nationale forte mais acquise depuis peu).


Nommer les lieux permet de s'approprier l'espace et donc de construire une identité spatiale. Aujourd'hui, il n'y a plus de terres inconnues ; pourtant, la problématique autour des noms de lieux est toujours aussi présente . Peut-être même encore plus, car, sur fond de géographie politique, les noms donnés aux lieux sont l'objet, pour certains, de rivalités dans le choix symbolique des noms des espaces. Le nom est un marqueur important de l'identité de la même façon que l'enfant ne peut se reconnaître dans la société si on ne lui donne pas de prénom, la place des lieux est traduite par le nom qu'on leur donne. Des cas comme la ville de Mitrovica, appelée Mitrovicë par les Albanais, Kosovska Mitrovica par les Serbes, Mitrovica ou Mitrovitsa par la communauté internationale (tout comme le nom du Kosovo lui-même : Kosovë pour les Albanais, Kosovo-Metohija pour les Serbes, Kosovo ou Kossovo pour la communauté internationale) montrent combien la question des noms est un enjeu, en tant que symbole des rivalités de pouvoir et des affrontements pour l'appropriation d'un territoire entre plusieurs communautés (qu'elles soient culturelles, mais aussi sociales et/ou politiques).



"Nommer le monde" - Le dessous des cartes - 12 juillet 2008


Paysages urbains de guerre, paysages urbains en guerre


Les médias (sur)exposent l’opinion publique aux images de destructions des villes lors des guerres : de Kaboul à Mogadiscio, de Mitrovica à Abidjan, l’opinion publique pense aux photographies de bâtiments ravagés par les stigmates des obus, aux reportages télévisés montrant des scènes de pillages, aux articles de presse insistant sur la terminologie accompagnant ces scènes : guerre urbaine, guérilla urbaine, catastrophe humanitaire… Ces représentations du paysage urbain perçu comme hostile "formatent" les référentiels de l’opinion publique internationale d’une part, mais ont également des conséquences à l’échelle de la ville. Ainsi, lorsque les médias exposent des paysages de guerre, ils font une double sélection : d'une part par le choix des quartiers montrés (le plus souvent, il s'agit de destructions immédiatement visibles et "choquantes") et par les mots qui les entourent. Le règne de l'audimat les amène à montrer les lieux du sensationnel au sein de la guerre. On "efface" ainsi les élans de solidarités qui existent entre des habitants pour mettre en exergue les lignes de front où s'affrontent leurs voisins. Bien évidemment, il ne s'agit pas de nier la réalité et la violence de la guerre ! Mais les médias concentrent leur attention sur les lieux du sensationnel, sans montrer les autres espaces de la ville en guerre. Les discours et les images médiatiques, géo-centrés sur les hauts-lieux de la violence et de l'affrontement, accentuent alors le sentiment d'une ville vulnérable.

Mais qu’en est-il réellement du "vivre la ville" dans des paysages de décombres ? Les paysages urbains évoluent pendant la guerre, bien évidemment en fonction des mouvements des lignes de fronts entre les belligérants, mais également en fonction des différents cheminements des habitants : entre déplacements et stratégies de survie différenciés, les habitants et la guerre transforment profondément les paysages urbains. L’efficacité géographique de la guerre dans la ville se voit de manière clairement identifiable au travers des stigmates laissés dans le paysage, mais elle peut se lire également à travers les parcours des différents quartiers. Dès lors, le paysage urbain peut être analysé comme le reflet de modes d’habiter la ville en guerre qui se différencient. La destruction des liens intra-urbains se lit dans les différentes trajectoires des quartiers des villes en guerre et dans l’immédiat après-guerre. De Beyrouth (avec la question des espaces urbains interdits, véritables sanctuaires dont les miliciens du Hezbollah ont désapproprié la population ; ainsi que la question des lignes de fracture identitaires anciennement conflictuelles et des lignes de fracture sociales émergentes) à Kaboul (où la question de l’asphyxie de la ville avec l’émergence de quartiers-territoires qui peinent à survivre les uns sans les autres), de Mitrovica (où la rivière Ibar marque le paysage comme une ligne de démarcation dont personne n’approche) à Abidjan (où deux quartiers populaires tels que Treichville centre et Yopougon, autrefois organisés selon le même modèle paysager de la cour commune, s’identifient fortement aujourd’hui, avec une tentative de modernisation de Yopougon qui a fragilisé le quartier pendant les crises, et un repli sur soi et sur son identité à Treichville centre), les modes d’habiter se reflètent dans les paysages urbains, d’autant plus que l’urbicide pendant la guerre, et même la reconstruction pendant l’après-guerre, sont des armes psychologiques. Loin des images médiatiques qui s’arrêtent sur les décombres pour en conclure à la catastrophe, les paysages urbains sont également le reflet des stigmates indirects de la guerre sur la ville et sur les modes d’habiter. La territorialisation par la violence ne peut donc s’effacer seulement par la reconstruction du bâti : la question des lieux de mémoire devient, entre autres, un défi pour l’identité future de la ville. Les risques autour de cette question sont de deux ordres : effacer totalement la guerre et ses traces, sans accepter le besoin de mémoire, et ainsi risquer que les tensions continuent de s’ériger entre des communautés, tout particulièrement auprès des enfants. L’identité urbaine à reconstruire est au cœur des préoccupations des villes de l’immédiat après-guerre, qui doivent souvent faire face à des frontières visibles (murs, barricades, checks-points…) et des frontières perçues ("mon" territoire contre le territoire de "l’Autre"). La question des paysages urbains permet d’appréhender les espaces perçus et les espaces pratiqués des différentes communautés, et de comprendre les enjeux d’une réelle réconciliation dans la ville.

Les paysages urbains reflètent les affrontements et sont alors l'expression de la guerre dans la ville. Ce sont bien des paysages DE guerre. Mais ces paysages sont également EN guerre, par le biais de leur inégale médiatisation, des messages politiques, des représentations qu'en a l'opinion publique qu'elle soit locale ou internationale... Or, l'image médiatique a un fort impact sur l'imaginaire collectif, et indirectement sur les discours et l'action politiques. Comme l'a montré Olivier Mongin : "Tant dans la réalité que dans la fiction, l'urbain est aujourd'hui brutalisé, "mis à mal", violenté du dehors (l'urbicide) ou du dedans (l'explosion, la bombe). L'urbain fait mal" (Olivier MONGIN, 2005, La condition urbaine. La ville à l'heure de la mondialisation, Seuil, collection Points Essais, Paris, pp. 174-175).

samedi 27 décembre 2008

Abidjan en bande dessinée


La bande dessinée Aya de Yopougon (pour l'instant 4 tomes, le 1er tome a reçu prix du 1er album au festival d'Angoulême en 2006) nous plonge dans la ville d'Abidjan à la fin des années 1970. L'occasion de faire de l'histoire et de la géographie. Aya est une jeune abidjanaise de 19 ans vivant dans le quartier populaire de Yopougon. Marguerite Abouet (auteur de la BD) a grandi à Abidjan avant de venir en France, et nous livre une bande dessinée entre souvenirs, documentations et fictions sur la ville de son enfance, sous le trait de Clément Oubrerie (également dessinateur de Zazie dans le métro). L'histoire est centrée sur Aya, ses ambitions de devenir médecin, sa famille, ses amis et leur quotidien dans le quartier de Yopougon en voie de modernisation. "Dans les années 1970, la vie était douce en Côte d'Ivoire. Il y avait du travail, les hôpitaux étaient équipés et l'école était obligatoire. J'ai eu la chance de connaître cette époque insouciante, où les jeunes n'avaient pas à choisir leur camp trop vite, et ne se préoccupaient que de la vie courante: les études, les parents, les amours… Et c'est cela que je veux raconter dans Aya, une Afrique sans les clichés de la guerre et de la famine, cette Afrique qui subsiste malgré tout car, comme on dit chez nous, 'la vie continue'..." (Marguerite Abouet).


La bande dessinée est donc l'occasion de faire de l'histoire : présenter le "miracle ivoirien" et ses conséquences sur le quotidien des Abidjanais à travers les personnages (le père d'Aya, son patron, son ami garagiste...). L'accès à de meilleures conditions de vie pour toute une partie de la population abidjanaise et à un confort plus grand, l'émergence de nouvelles questions sociales et sociétales (notamment autour de la place de la femme, à travers les problèmes liés à l'émancipation revendiquée, la place des secondes épouses, le rôle de la femme au foyer, l'accès aux études supérieures...). L'occasion également de faire de la géographie, et ce à plusieurs titres. Géographie politique : on est là à la veille de la crise économique en Côte d'Ivoire et de l'émergence de nombreux facteurs de tensions entre les communautés, les partis politiques et les classes sociales qui vont déchirer la Côte d'Ivoire dès 1999. Etude de paysages urbains à travers des hauts-lieux de la ville d'Abidjan : le quartier populaire de Yopougon (véritable géosymbole de la croissance urbaine et économique d'Abidjan dans les années 1970), l'hôtel Ivoire (aujourd'hui célèbre pour les violences de novembre 2004, mais également véritable haut-lieu du luxe et de la prospérité de la ville d'Abidjan et symbole de la croissance économique au moment du "miracle ivoirien")... On découvre l'habitat sur cours, la place de la rue dans la vie sociale, "l'arbre à palabre". Géographie sociale également : les lieux pratiqués et fréquentés par les différentes classes sociales, leurs mobilités, le rôle du village dans les décisions familiales, le rôle de la famille dans l'accueil de parents éloignés en ville, l'émergence d'une classe moyenne, les relations entre les sexes... Géographie culturelle : la place de la danse et de la musique, de la nourriture et du partage du repas... Géographie des migrations avec les espoirs de ceux qui veulent partir et le parcours de ceux qui s'en vont en France. Aya de Yopougon place le lecteur au coeur de l'imaginaire et du subjectif de ses auteurs, mais reste instructif à analyser en tant que témoignage et discours portés sur la ville d'Abidjan, et tout particulièrement dans le quartier de Yopougon, sur ses populations, leurs espaces fréquentés, leurs territoires du quotidien et leurs mobilités...


Une chronologie de la Côte d'Ivoire (avec des liens vers des articles présentant les événements en question).




Clément Oubrerie au festival de la bande dessinée à Angoulême en 2006

Colloque "Conflits en zones urbaines"


Olivier Kempf nous signale la tenue d'un colloque sur les "Conflits en zones urbaines" à Genève le vendredi 30 janvier 2009, organisé par le Club participation et progrès. La journée sera consacrée à 3 axes de réflexion : violence urbaine / guerre urbaine / aspects urbains de l'action humanitaire, et sera l'occasion de très nombreuses analyses quant au rôle, aux contraintes et aux discours des acteurs internationaux déployés dans des zones urbaines.


Au programme :

Introduction générale : le milieu urbain et ses populations
- Urbanisation dans l'Histoire (Antoine Wasserfallen)

La violence urbaine
- Conflits asymétriques en zones urbaines et stratégies d'information (Gyula Csurgai)
- Violences urbaines et géopolitique des agglomérations (Oskar Baffi)
- Conflit urbain au Pakistan (Claude Rakisits)

La guerre urbaine
- L'évolution des conflits et le thème de la guerre urbaine (Général Vincent Desportes)
- Le nouveau paradigme : la guerre parmi les peuples (Pierre Pascallon)
- Doctrines et évolution du Combat en Zones Urbaines (Bertrand Jaccard)
- Le phénomène guerre en milieu urbain à travers les âges (Pascal Le Pautremat)
- Les aspects ontologico-culturels du conflit en zone urbaine (Tanguy Struye de Swielande)
- Urbanisation des conflits armés et ses conséquences (Alexandre Vautravers)
- Chaos/Partisan/Ville : l'art de la guerre au XXIème siècle (Bernard Wicht)

Les aspects urbains de l'action humanitaire
- Logistique des populations vulnérables dans l'action humanitaire : Etudes de cas (Everett Ressler)
- Difficultés et opportunités d'appliquer le droit international humanitaire dans la guerre urbaine (Michel Veuthey)
- L'expérience des quastions humanitaires dans les villes du Liban et de Bosnie (Galia Gulme)

Les camps dans la région d'Abéché (2) : la militarisation de la ville


Revenons sur cette idée d' "encampement" dans la ville d'Abéché et sa région environnante, affectée indirectement par les tensions géopolitiques internes et externes. L'anthropologue Michel Agier a montré combien les camps de réfugiés étaient des espaces construits dans l'urgence dans lesquels s'organisait une vie urbaine d'un type particulier, définie par l'enclavement de ses habitants ("De nouvelles villes : les camps de réfugiés. Eléments d'ethnologie urbaine", Annales de la recherche urbaine, n°91, pp. 128-136) et des espaces "mouvants" : "avec les déplacements de population, les espaces de frontière et les camps forment une réalité mouvante dans l'espace, mais aussi « liquide » dans sa substance - au sens où le sociologue Zygmunt Bauman parle d'une « modernité liquide », instable et incertaine, dans le monde d'aujourd'hui (Zgymunt Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2002). Camps et zones de frontière sont exemplaires jusqu'à l'excès de cette liquidité, voire d'une certaine « plasticité » si l'on s'en tient au sens strict de la matière qui prévaut dans l'édification des camps : tentes, bâches, cuves, etc., faites de toiles plastifiées. Ce sont des espaces de la mobilité" (Michel Agier, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, collection Bibliothèque des savoirs, Paris, 2008). Les camps de réfugiés sont des espaces clos construits dans l'urgence avec une "durée de vie" initialement limitée (certains s'ancrent dans la durée, comme l'a montré le géographe Mohamed Kamel Doraï dans sa thèse intitulée Les réfugiés palestiniens au Liban. Une géographie de l'exil, CNRS Editions, collection Moyen-Orient, Paris, 2006, 256 pages). Mobilité des camps et confinement de leurs populations sont donc 2 caractéristiques de ces espaces politiques d'un type particulier.


Avec l'intervention d'armées extérieures, les camps militaires répondent de problématiques spatiales similaires, bien que leurs objectifs politiques soient très différents. Tout d'abord, leur implantation modifie profondément les logiques territoriales et les équilibres sociaux aux alentours. De plus, ce sont des "espaces-forteresses" pour les habitants, des enclaves dans lesquelles le seuil ne peut être franchi que par les personnes autorisées. Le seuil devient alors une séparation, une discontinuité spatiale transformée en véritable barrière infranchissable pour les locaux, tandis que ce même seuil est un passage pour les militaires. Ces espaces sont totalement appropriés au point d'échapper à la souveraineté locale. La problématique ouverture/fermeture est donc primordiale pour comprendre cet encampement. Enfin, on constate une différence notable entre les différentes localisations et temporalités des missions militaires quant à l'enclavement des militaires eux-mêmes. Certains camps sont ainsi établis au coeur des zones dangereuses et instables. D'autres sont volontairement éloignés des zones de combats, soit pour être des bases arrières (soutien logistique et humain), soit pour permettre un désengagement progressif (la souveraineté - représentée par les pouvoirs policiers et militaires - est ainsi rendue aux autorités locales qui reprennent en charge la protection du territoire et des populations). La forme, la localisation et l'organisation de ces différents camps changent en fonction de leurs objectifs. Les militaires peuvent ainsi s'approprier une zone autour d'un haut-lieu de la violence pour installer un check-point : Les infrastructures pré-existantes sont alors utilisées afin de servir la mission de protection et d'anticipation sur les violences. Par contre, la plus grande partie des militaires sera logé dans un camp militaire construit pour l'occasion (construction ex-nihilo) ou transformé (réappropriation d'infrastructures, le plus souvent publiques, tels que les casernes, mais aussi des établissements scolaires abondonnés, des hôpitaux délaissés...). Quelque soit l'étendue et l'objectif de ces différents territoires militaires, ils ont pour point commun d'être conçus comme des territoires clos. Seuls les militaires et les personnes autorisées peuvent y pénétrer. Par contre, les militaires (à l'inverse de la population des camps de réfugiés) sont amenés à sortir du camp. Leurs espaces pratiqués relèvent tout d'abord d'une mise en réseau entre les différents territoires militaires. Mais également, les militaires peuvent mettre en place (en fonction des objectifs déterminés dans le mandat pour chaque mission) un quadrillage sécuritaire de l'espace, et ce à partir des camps militaires, qui constituent ainsi des centralités dans l'espace pratiqué par les militaires extérieurs venus intervenir sur un théâtre d'opérations.




Le camp des étoiles à Abéché

Il s'agit du plus grand camp militaire de l'EUFOR Tchad / RCA (République Centrafricaine). Une telle implantation n'est pas sans conséquences pour la ville d'Abéché qui a déjà vu l'afflux des humanitaires ces dernières années : "la guerre qui oppose depuis 2003 des mouvements rebelles du Darfour à l'armée soudanaise et à des milices arabes a provoqué l'afflux dans l'est du Tchad de 200 000 réfugiés hébergés dans douze camps. Abéché est devenu en quelques mois le centre d'une opération humanitaire d'envergure : une trentaine d'ONG et d'agences de l'ONU y emploient 3 200 Tchadiens (selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés en mai 2005). L'immigration dans la ville entraîne une forte inflation et des difficultés de logement pour les plus modestes" (Johanne Favre, "Abéché, porte de l'Orient", Atlas du Tchad, Les Editions Jeune Afrique, collection Atlas de l'Afrique, Paris, 2006, pp. 54-55). La présence massive d'une force militaire étrangère participe des mêmes phénomènes. Premier principe : l'appropriation exclusive d'un espace dans lequel les autorités locales perdent toute souveraineté. En effet, le camp militaire relève d'une appropriation à la fois spatiale et juridique. Mais également, cette présence a des conséquences économiques et sociales sur l'ensemble de la ville d'Abéché. Si les infrastructures urbaines influencent l'isntallation des militaires dans les villes où ils interviennent (selon la mission attribuée aux militaires, les camps sont installés en prenant en compte les différents éléments de la structure urbaine : espaces "vides" / espaces "pleins" ; présence de zones dangereuses, de zones à protéger, de zones sans intérêt stratégique...), la présence des militaires ont, en retour, une action sur le milieu urbain. D'une part, la vie quotidienne des habitants aux alentours des camps est rythmée par cette présence : certains sont employés dans les camps (cuisine, ménage, entretien des infrastructures...) et possèdent ainsi un niveau de vie réhaussé. D'autres profitent de la présence des militaires comme d'un marché de consommateurs à fort pouvoir d'achat (comme le montrent les photographies du marché organisé autour du camp des étoiles à Abéché, sur le blog d'Isabelle Bal consacré au Tchad). Cette présence modèle ainsi les quartiers alentours en leur offrant des emplois et un marché de consommateurs qui créent une économie temporaire fort appréciée dans les quartiers populaires, surtout au vu des difficultés persistantes dans la ville d'Abéché. Si le camp militaire est un espace approprié par une souveraineté étrangère, il n'en reste pas moins une infrastructure de et dans la ville d'Abéché qui se traduit par un remodelage de l'économie micro-local. Néanmoins, le statut temporaire et mouvant de tels camps ne permet pas aux quartiers concernés de développer une réelle économie de substitution durable et efficace au moment du démentèlement des cemps militaires (on retrouve là des problématiques qui sont également évoquées dans les débats concernant la nouvelle carte militaire et la fermeture de sites militaires en France et les impacts pour les municipalités concernées, notamment en termes économiques, avec le départ d'un marché de consommateurs et une communauté de citoyens très important). Fin septembre 2008, on dénombre ainsi 1 300 soldats au camp des étoiles. Néanmoins, la présence des militaires n'est pas acceptée avec facilité par la population locale. D'une part, la présence des militaires ne bénéficie qu'à une partie de la population (d'un point de vue économique) ; d'autre part, les militaires ne sont pas un marché aussi prometteur que les populations locales auraient pu l'espérer. L' "encampement", s'il n'est pas aussi extrême que celui des habitants des camps de réfugiés, pose ici des limites : les militaires sont assignés d'une mission qui maintient une distance très nette entre la vie locale et leur propre vie. Les apports économiques de cette présence sont donc limités (la nourriture des ordinaires, par exemple, provient en très grande partie des pays "fourniseurs" en militaires), mais suffisamment conséquents pour modifier la perception des habitants des alentours très proches.









Reportage L'EUFOR dans le bourbier tchadien (France 24 - 12 mars 2008)






Les milices dans la ville

La militarisation de la ville d'Abéché se traduit également par la présence de groupes armés locaux. L'année 2008 a été marquée par les violences internes au Tchad. Les milices qui défient l'autorité étatique s'ancrent dans les espaces périphériques du Tchad. L'Est du Tchad est une région particulièrement instable, puisque cette région sert de zone-refuge pour les rebellions. La déstabilisation de la région est donc le fruit de la convergence entre des tensions internes (groupes armés) et les conséquences des tensions externes (réfugiés provenant du Darfour voisin). Cette militarisation procède d'un double mouvement : l'arrivée et le déploiement d'une force armée extérieure, et la militarisation de partis politiques ou de communautés à l'intérieur du pays. Dès 1965, des rebellions se sont organisées dans les périphéries du Tchad, remettant en cause la souveraineté du pouvoir central. Plusieurs épisodes de violences déchirent le pays depuis cette date (1965, 1979-1982, 1984, 1992-1993, 1997-2002, avril 2006, février 2008).

L'année 2008 a été particulièrement troublée dans l'Est du Tchad, touché par les violences miliciennes, notamment en février 2008 et en juin 2008. La proximité de la frontière avec le Soudan fait d'Abéché à la fois une ville-refuge et une ville-cible. Une ville-refuge pour les rebelles provenant du Darfour voisin et pour les populations provenant des zones rurales touchées par les violences des rebellions tchadiennes. Elle est une ville-cible à plusieurs titres : tout d'abord, parce que par sa localisation, elle se retrouve au coeur d'une zone-tampon entre le Soudan et le Tchad. De plus, parce qu'elle est l'objet des convoitises des rebelles internes, en tant que symbole local de l'Etat dans l'Est du Tchad (par la présence d'administrations qui sont autant de géosymboles du pouvoir étatique dont la souveraineté est remise en cause par les rebelles). Enfin, par la médiatisation de cette ville et des événements qui s'y déroulent : communauté internationale, humanitaires, journalistes... tous se retrouvent à Abéché de sorte qu'ils rendent la ville "visible". Il est donc important, pour faire passer un message politique et/ou psychologique par le biais des images, de prendre en compte la présence des internationaux à Abéché.

Ainsi, trois sortes de forces armées se retrouvent à Abéché, point stratégique pour le contrôle disputé de l'Est du Tchad : les forces internationales, les formes armées régulières et les forces miliciennes. Sans que les combats ne se déroulent dans la ville, celle-ci, par sa localisation et par ses symboles, entre directement dans la guerre et dans la guérilla, dans la mesure où elle est transformée par l'arrivée de populations nouvelles (réfugiées et militaires) et par son passage de "ville ordinaire" à "géosymbole médiatique".

Réfugiés et stratégies de survie : quelques sources


Quelques liens et quelques sources de 3 auteurs (parmi beaucoup d'autres, la liste est loin d'être exhaustive !) travaillant tout particulièrement sur les réfugiés et les déplacés (stratégies de survie, marginalisation, trajets et déplacements...) et les camps (organisation spatiale, économique et sociale, rôle sur la militarisation, l'économie et les rapports sociaux-culturels dans la région d'accueil...) et privilégiant l'approche sociologique et géographique.


Les travaux de Michel Agier :

Anthropologue, Michel Agier (directeur de recherche à l'IRD et directeur d'études à l'EHESS) a beaucoup travaillé sur les camps de réfugiés comme forme d'habitation sociospatiale répondant à des logiques particulières. Il vient de publier un ouvrage intitulé Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion, Paris, novembre 2008, 350 pages) dans lequel il postule que "si tout cela se poursuit, en effet, les camps ne serviront plus à maintenir en vie des réfugiés vulnérables, mais à garder et parquer toutes sortes de populations indésirables". Quelques-uns de ces articles sont en ligne parmi lesquels :


Les travaux de Marc Antoine Pérouse de Montclos :

Chercheur en sciences politiques et en relations internationales, Marc Antoine Pérouse de Montclos (chargé de cours à Sciences Po Paris) est un spécialiste des conflits armés en Afrique anglophone et a réalisé de nombreuses missions dans des pays africains en guerre pour l'IRD (Somalie, Congo, Burundi, Cap Vert...). Parmi ces publications et/ou interventions :




Les travaux de Kamel Doraï :

Mohamed Kamel Doraï est docteur en géographie et auteur d'une thèse intitulée Les réfugiés palestiniens du Liban : une géographie de l’exil (2006, CNRS Éditions, Paris, collection Moyen-Orient, 256 pages). Ces travaux portent sur le cas particulier des Palestiniens, avec une approche géographique :

  • "Les réfugiés palestiniens en Europe. Complexité des parcours et des espaces migratoires", Revue européenne des migrations internationales, 2004, vol. 20, n°2/2004.

lundi 1 décembre 2008

La blogosphère : géographie et conflits


Un arrêt temporaire du blog, le temps d'un séjour de terrain au Kosovo. L'occasion de parler de quelques blogs particulièrement intéressants, parmi tant d'autres !



Des blogs en géographie

  • "Planète Vivante" : le blog de Marie-Sophie Bock Digne, enseignant-chercheur à l’Université de La Rochelle. "Ce blog se veut totalement apolitique et orienté vers l’information, l’éducation et la réflexion sur les thèmes du développement durable sous toutes ses formes, la protection de l’environnement et des hommes ainsi que sur le réchauffement climatique". On y retrouve des analyses, bien illustrées et démonstratives, sur la prégnance des catastrophes dans la réalité comme dans les discours et les représentations. De quoi approfondir avec pertinence la thématique de la "ville vulnérable" et la problématique du risque réel/perçu. Elle met également en ligne de nombreux power-points réalisés dans le cadre de cours de licence en géographie, dont ceux consacrés à la "Pauvreté et gestion urbaine dans les PED", aux "Migrants climatiques ou réfugiés de l'environnement ?", aux "Cartes mentales et espaces vécus"... Des sujets très variés qui permettent d'approfondir sa connaissance géographique.
  • "Géo trouve tout" : un blog destiné préalablement aux étudiants d'hypokhâgne, mais qui peut offrir de nombreuses perspectives à tout intéressé de géographie : à travers des fiches de lecture, des liens Internet, et des analyses de paysages, la pédagogie, les conseils et la méthodologie sont à l'honneur sur ce blog qui permet de comprendre les concepts de base et les outils de la géographie.
  • "Géo fac" : dans la même lignée, ce blog est consacré aux élèves de Khâgne. On y retrouve également des analyses de paysage, des liens très complets et des fiches de lecture sur le programme en cours (cette année "Santé et environnement, une question géographique"). Mais également, les archives présentent de nombreuses analyses qui ont été produites dans le cadre de cours à l'Université Saint-Etienne (notamment dans le cadre de la préparation des concours de l'enseignement). L'analyse des paysages y est tout particulièrement développée et abordée sur des cas originaux, avec une approche pédagogique pour tout étudiant ou simplement curieux.
  • "Le site d'Alain Musset" : ce n'est pas vraiment un blog, le site se présente sous forme de forum, présentant les travaux du géographe Alain Musset (directeur de recherches à l'EHESS). Un site qui permet de questionner directement son auteur sur ses travaux (Mexique, Amérique latine et Etats-Unis pour ses principaux écrits, mais également Star Wars, géographie urbaine, géographie en général...).

  • "Géographie du fait religieux" : le blog de Frédéric Dejean, sous-titré "approche spatiale des religions et des faits religieux", propose de nombreuses analyses sur les territorialités et les spatialités des phénomènes religieux dans le monde.

  • "Carnets géographiques" : le blog des étudiants de l'Université de Tours, sous-titré "se représenter, vivre et lire son espace", qui donne de nombreuses informations sur les conférences de la ville, notes de lecture, analyses des concepts fondamentaux de la discipline (ville durable, géographie des représentations...) et l'analyse de photographies.



Les blogs de géopolitique


  • "Les mafias" : le blog de Fabrice Rizzoli (consultant en criminalité et doctorant en géopolitique) consacré aux organisations mafieuses, tout particulièrement les réseaux italiens.
  • "RDO : Rhin Danube Oder" : le blog de Victor Fèvre (étudiant à Sciences Po Paris), consacré à la géopolitique du monde germanophone, qui traite notamment de nombreux aspects de la Défense allemande et de l'engagement en Afghanistan.
  • "Perspectives géopolitiques" : le blog de l'Ecole Supérieure de Commerce (ESC) Grenoble et de la Collection Major des Presses Universitaires de France, qui présente des compléments au programme des classes préparatoires commerciales : géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, géopolitique des Amériques, géopolitique de l'Asie, géopolitique de l'Europe, mondialisation.
  • "Géopolitique" : le blog de Pierre Rousselin (éditorialiste en politique étrangère au Figaro) qui traite de tous les bouleversements du monde contemporain.

dimanche 16 novembre 2008

Les camps dans la région d'Abéché (1) : la territorialisation des réfugiés



Olivier Kempf, dans son blog Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques, propose un article très intéressant sur le cas d'Abéché, une ville-refuge du centre-Est du Tchad. Ville-refuge, car comme le définit Olivier Kempf, "il s'agit de la ville dont le fonctionnement est altéré par la guerre environnante, même si elle ne souffre pas directement de méfaits de la guerre". Le cas est d'autant plus intéressant que la ville est ici affectée à la fois par les tensions internes et par une guerre qui se déroule au-delà des frontières étatiques. L'afflux de populations réfugiés provenant du darfour voisin dans des camps, territoires construits dans l'urgence, entraîne des modifications du peuplement dans l'ensemble de la région. Olivier Kempf le montre : une accélération de l'exode rural, une arrivée massive d'acteurs extérieurs dans une "ville-vitrine" ("avec un peu d'ironie, on évoquera l'arme des ONG : il y aurait 46 ONG en ville ! Le processus est connu, et dû à la logique de fonctionnement économico-médiatique de cette catégorie : pour faire son travail, il faut des fonds, qu'on rassemble à coup de publicité, qu'on justifie en allant dans les endroits les plus emblématiques. Achébé a vu passer Georges Clooney et l'Arche de Zoé, une ONG sérieuse doit donc avoir un bureau à Achébé"). Mais également, "ville militarisée" : ces tensions se traduisent par la militarisation de la ville. Les camps militaires font apparaître de nouvelles formes de territorialisation, mais également de nouvelles formes de pouvoir dans la ville d'Achébé, spécifiques aux contingences militaires. De plus, la région d'Ouaddaï est une région d'accueil de très nombreux réfugiés soudanais. Comme le rappelle Olivier Kempf, "Achébé est la grande ville de l'est du Tchad. C'est la région limitrophe du Darfour soudanais [...] Le Ouaddaï accueille tout d'abord de nombreux réfugiés et déplacés provoqués par la crise du Darfour, agglutinés dans des camps le long de la frontière". L'arrivée d'acteurs extérieurs dans la ville d'Abéché ou à proximité de la ville a donc des conséquences avec l'apparition de nouvelles formes d'autorités, et entretient de nouvelles rivalités de pouvoir dans le contrôle et l'appropriation de l'espace. La démonstration d'Olivier Kempf montre bien les bouleversements de la géographie sociale dans cette ville. il en conlut que "c'est une certaine économie de guerre qui bouleverse la ville. La ville ne fait pas la guerre, mais elle est « en » guerre". Même si la guerre n'est pas dans la ville, elle peut la transformer par des conséquences indirectes.




Un camp de réfugiés au sud d'Abéché


Yann Arthus-Bertrand a monté une exposition pédagogique en ligne sur "Le développement durable, pourquoi ?" à partir de ces photographies. Parmi celles-ci, la thématique "Etre réfugié" est illustrée par une photographie d'un camp de réfugiés soudanais de Goz Amer, à 217 km au Sud d'Achébé. Ce camp de réfugiés a été ouvert en avril 2004 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) pour accueillir les réfugiés venant du Darfour voisin. Le camp de réfugiés est un espace construit dans l'urgence, qui se définit par une appropriation spatiale extrême, une forme de marginalisation temporaire qui peut s'ancrer dans le long terme, et un espace politique qui amène de nouvelles rivalités de pouvoir. L'anthropologue Michel Agier analyse ainsi les camps de réfugiés comme "à la fois l’emblème de cette condition sociale formée par le tandem guerre/humanitaire, et le lieu où elle se construit de la manière la plus élaborée, comme une vie maintenue à distance du monde social et politique ordinaire" ("De nouvelles villes : les camps de réfugiés. Eléments d'ethnologie urbaine", Annales de la recherche urbaine, n°91, p. 129). Ce nouveau territoire implanté modifie profondément l'organisation des territoires environnants. D'une part, les habitants des zones rurales aux alentours des camps de réfugiés bénéficient d'une implantation urbaine, qui leur permet d'écouler leurs marchandises vivrières. Il s'agit en effet d'un nouveau marché avec une population démunie, qui ne sort pas des camps et qui sont autant de bouches à nourrir. Si les populations sont démunies, la présence des ONG permet de faire vivre ce marché vivrier, et ainsi se développe une économie "artificielle" (car temporaire, mais souvent porteuse de profondes modifications dans l'organisation des réseaux de distribution : les paysans se tournent plus aisément vers les camps de réfugiés du fait du fort pouvoir d'achat des ONG, et délaissent ainsi leurs marchés urbains "traditionnels"). De plus, s'instaure une réelle concurrence pour le territoire entre les paysans et l'installation du camp de réfugiés. Ce dernier "grignote" de l'espace, les zones dédiées à une agriculture peu productive en sont réduites. Au final, des tensions naissent entre des réfugiés qui bénéficient d'une aide humanitaire d'autant plus conséquente qu'elle sera médiatisée, tandis que la situation des ruraux ou des urbains vivant à proximité de ces camps se détériore (partage du territoire, partage des produits vivriers). Olivier Kempf le démontre clairement : "et l'on constate que dans les camps, les gens se plaisent. Ils sont même peut-être dans une situation plus favorable que le paysan qui travaille alentours : ils sont nourris, ils reçoivent de l'eau, des soins, une alphabétisation. Certes, ils ne sont plus chez eux mais ils peuvent considérer que leur confort a augmenté". La présence des humanitaires dans les villes aux alentours du ou des camps de réfugiés modifie également la géographie sociale et culturelle. Ces acteurs extérieurs ont un mode de vie différent des urbains locaux (habitudes alimentaires, utilisation de véhicules, conditions de logements...) et un pouvoir d'achat nettement supérieur (qui réhausse les prix dans la ville lorsque les organisations humanitaires sont très nombreuses). Olivier Kempf montre combien l'exemple d'Achébé, ville-vitrine, est, à ce titre, illustratif. D'autre part, les camps de réfugiés recréent une véritable vie urbaine, avec des services de base (alimentation, eau, soins médicaux). Ces espaces clos sont organisés et socialisés par les ONG. Virginie Tallio (doctorante en ethnologie et en anthropologie sociale à l'EHESS) le montre à propos du camp de Nkondo en République Démocratique du Congo : "les agences humanitaires internationales, que ce soit les institutions onusiennes ou les O.N.G., ont donc modelé un espace et créé des catégories spécifiques afin de gérer les camps et d'assurer à la population la satisfaction de ses besoins vitaux. Mais les contraintes des programmes des agences humanitaires sont contournées par les réfugiés. Ainsi, leur mise en place contribue à faire jaillir des formes de socialisation et de politisation dans la gestion de la vie biologique. Ce constat dessine une nouvelle piste de recherche, celle de l'émergence d'une forme de pouvoir particulière à cet espace. Celui-ci, aux vues du contexte dans lequel s'effectue l'intervention humanitaire dans les camps de réfugiés, s'assimile à la « bio-politique », dans le sens foucaldien du terme [cf. Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1987], mais n'en reste pas moins caractéristique d'un espace où les sujets deviennent acteurs" (Virginie Tallio, "L'humanitaire comme producteur de territoire. L'exemple dy camp de Nkondo ouvert aux réfugiés angolais en R.D.C.", Bulletin de l'Association de Géographes Français, n°2006-1, mars 2006, pp. 39-49). Le camp devient un espace politique particulier, dans lequel des règles se fondent autour de l'enfermement des habitants. Pas de rencontre donc entre l'espace habité par les locaux et l'espace approprié par les réfugiés, mais des incidences de ce dernier sur les équilibres territoriaux, sociaux et politiques qui pré-existaient à l'installation du ou des camps.



Camps de réfugiés soudanais de Bredjing près de la frontière soudanienne
Tchad (13°28’ N - 21°42’ E) - Yann Arthus-Bertrand
"
Le Soudan, géant africain aux neuf frontières, n’a connu que 11 ans de paix depuis son
indépendance en 1955. La guerre civile trouve son origine dans l’opposition entre un Nord dominant, arabe et musulman et un Sud noir-africain, chrétien et animiste. Depuis 2003, le conflit s’est durci dans la région du Darfour au sud-ouest du pays, où les milices arabes Janjaweed armées par le gouvernement, ont poussé sur les routes plus d’1 million de personnes en une seule année. Près de 200 000 sont réfugiées au Tchad, dans des camps dont la capacité d’accueil est parfois dépassée, comme ici à Bredjing. Aujourd’hui, les guerres civiles sont beaucoup plus fréquentes que les conflits entre nations. Depuis 1990, 55 des 59 conflits enregistrés dans le monde se sont produits à l'intérieur même d'un pays, impliquant ainsi directement la population civile. Plus de 2 millions d'enfants ont été tués au cours de ces combats et 20 millions déplacés. Villages incendiés, pillages, viols, meurtres et destruction systématique des moyens de subsistance... Les populations sont d’autant plus démunies face à ces violences qu’elles émanent de leur propre gouvernement."

Source : site de Yann Arthus-Bertrand.


Quelques lectures sur le Tchad :


  • Géraud Magrin, "Tchad 2008. Géographie d'une guerre ordinaire", Echogéo, rubrique Sur le vif 2008, mis en ligne le 13 mai 2008.
  • Johanne Favre, "Marginalité de l'Etat et violences sociales au Far Est (Tchad oriental)", Bulletin de l'Association de Géographes Français, n°2007-3, septembre 2007, pp. 357-365.
  • Gérard-François Dumont, "Géopolitique et populations au Tchad", Outre-Terre, n°20, 2007/3.
  • Le blog d'Isabelle Bal (18e Régiment des Transmissions) consacré au Tchad et à la mission Epervier.




Quelques lectures sur les camps de réfugiés :


Quelques lectures sur l'action humanitaire et les liens avec l'action militaire :

La géographie de la ville en guerre vue par Olivier Kempf


Avec son aimable autorisation, je reproduis ici les billets d'Olivier Kempf, publiés sur son blog
Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques, sur la géopolitique urbaine et la géographie de la ville en guerre.




Géopolitique urbaine (publié le 23 octobre 2008)

"Nous apprenons qu'en 2008, la population du monde vient de passer le seuil des cinquante pour cent de citadins. La moitié de la population est donc urbaine. Voir ici.

Cela aura bien sûr des conséquences géopolitiques. Géopolitiques et non pas stratégiques, même si le combat urbain devient un élément central de la réflexion tactique.
De même, la réflexion sur la géographie de la ville en guerre apportera des éléments importants au sujet, même si cela demeure à la marge : en effet, la ville en guerre n'existe qu'une fois le conflit déclenché. La ville est alors un enjeu, voire un théâtre des opérations, mais non de la motivation politique qui a conduit au déclenchement des opérations.

Cette réflexion tactique n'es pas mon propos ici, dans ce blog géopolitique. Car si la moitié de la population habite dans les villes, cela a des effets importants sur l'organisation du territoire (objet classique d'étude géographique). Or, la géopolitique s'intéresse aux rivalités de puissance sur les territoires et leurs populations. La modification du territoire entraîne mécaniquement la modification de la géopolitique.

Le rapport au territoire changeant, les déterminants de la géopolitique évoluent en conséquence.
Comment ? je ne le sais pas encore. Mais poser la question, identifier les mutations permet de déterminer un champ d'étude. J'espère que la "géographie de la ville en guerre" (voir blog ici) s'intéressera aussi à cet aspect là des choses, et nous aidera à développer ce nouveau segment de la géopolitique contemporaine.

J'essayerai, un jour prochain, d'illustrer par un exemple cette nouvelle voie.
"





"
J'évoquai il y a quelques temps la nécessité d'une géopolitique urbaine (ici). Voici une contribution qui fera, je l'espère, le lien entre cette géopolitique urbaine et la géographie de la ville en guerre (voir blog).


1/ Penser une ville en guerre amène immédiatement à l'esprit des images d'immeubles détruits, de gravats dans les rues, de destructions urbaines : Beyrouth, Grozny, Sarajevo en sont les exemples les plus médiatisés.

La ville en guerre peut aussi relever d'une vie urbaine bouleversée, par des barrages militaires et des cloisonnements de quartier : Bagdad en est l'exemple le plus récent, et Kaboul en prend le chemin.

Dernier exemple, la ville divisée : Berlin autrefois, Mitroviça aujourd'hui montrent des murs coupant les villes en deux.

Est-ce tout ? n'y a-t-il que ces trois cas ?

J'aimerais évoquer ici un cas moins visible mais qui me paraît relever de cette catégorie de la « ville en guerre », il s'agit de la ville dont le fonctionnement est altéré par la guerre environnante, même si elle ne souffre pas directement des méfaits de la guerre. Et je me servirai d'Abéché, au Tchad, comme illustration de cette nouvelle catégorie.


2/ Nul immeuble détruit, point de barrage, aucun mur de séparation ne sont visibles à Achébé. Car malgré tous les rezzous partis de l'ouest du Soudan voisin en direction de N'Djamena, aucun n'a pris directement la ville pour cible. Elle n'a pas connu de combats.

Mais Achébé est la grande ville de l'est du Tchad. C'est la région limitrophe du Darfour soudanais (voir mon billet sur les frères jumeaux tchado-soudanais). Et cette région du Ouaddaï est affectée de plusieurs façons par la crise et par la guerre latente qui se déroule alentours.
  • Le Ouaddaï accueille tout d'abord de nombreux réfugiés et déplacés provoqués par la crise du Darfour, agglutinés dans des camps le long de la frontière.
  • Le Ouaddaï est également la région frontalière où l'armée tchadienne garde les confins et s'apprête à contrer un éventuel rezzou des opposants au président Déby, opposants qui sont installés du côté soudanais de la frontière.
  • Enfin, le Ouaddaï est la région qui accueille un mouvement rebelle soudanais, celui qui a lui-même lancé un gigantesque rezzou contre Khartoum (voir ici).

Trois raisons qui militarisent la région et donc sa capitale, Abéché.


3/ La première conséquence de cette militarisation est une présence militaire multiforme.

Il s'agit tout d'abord des forces tchadiennes, qui utilisent la ville comme plate-forme régionale. Surtout, la valeur stratégique d'Achébé tient à son aéroport, le seul de la région dont la longue piste est goudronnée. Est-ce un hasard si on y observe certains des moyens aériens (hélicoptères lourds, Pilatus) que le gouvernement a acheté récemment ? La présence d'unités tchadiennes affecte la vie de la cité, car ces unités viennent d'autres régions du Tchad, et ne se comportent pas toujours avec la délicatesse voulue.

Mais l'armée, c'est aussi l'opération Epervier, installée dans un camp jouxtant l'aéroport ; c'est l'EUFOR, installée au Camps des étoiles, de l'autre côté de la piste. C'est enfin la MINURCAT, mission onusienne qui commence à monter en gamme et dont le PC avant se trouve, lui aussi, à Achébé. Autant de troupes ou d'observateurs qui circulent en jeep, en camions, en blindés, qui utilisent des hélicoptères ou des avions, qui aménagent des camps, font des patrouilles et des convois. Sans parler du retentissement sur l'économie locale, qu'il s'agisse d'achats et d'approvisionnements ou de sous-traitances diverses (constructions, services,...).

Avec un peu d'ironie, on évoquera l'armée des ONG : il y aurait 46 ONG en ville ! Le processus est connu, et dû à la logique de fonctionnement économico-médiatique de cette catégorie : pour faire son travail, il faut des fonds, qu'on rassemble à coup de publicité, qu'on justifie en allant dans les endroits les plus emblématiques. Achébé a vu passer Georges Clooney et l'Arche de Zoé, une ONG sérieuse doit donc avoir un bureau à Abéché. Riches, les ONG ont besoin de grands locaux, elles utilisent des 4x4, engagent des chauffeurs et des employés.


4/ La ville est alors bouleversée. Il y a dix ans, on comptait quatre voitures à Abéché. Il est aujourd'hui impossible de circuler entre les véhicules de l'ANT, ceux des militaires occidentaux, ceux des ONG, sans les incroyables triporteurs et autres motos chinoises. On dit même qu'un garage, non loin du centre, assemble des pick-up de combat pour un mouvement rebelle, plus au nord.


5/ La population a suivi. Elle comptait 40 000 habitants il y a huit ans, on estime aujourd'hui à 200 000 le nombre d'Abéchois. Une partie de la population s'enrichit, quand l'autre n'arrive pas à suivre l'augmentation des prix. On assiste alors à une nouvelle géographie sociale de la ville. Les pauvres ne peuvent plus venir en ville, et partent dans les villages alentours. Les étudiants, qui arrivaient à trouver en février une chambre pour 5 000 CFA, se voient aujourd'hui demander 35 000 CFA. Dans le même temps, l'observateur constate la construction de « villas » dans les banlieues « aisées ». On pardonnera les guillemets quand on comprendra que la villa est constituée d'un mur de mauvaises briques qui entoure un bout de terrain où s'élève une habitation, en briques elle aussi, d'une ou deux pièces. Mais cette villa est le signe d'une aisance nouvelle.


6/ Cette géographie est donc bouleversée par une augmentation radicale des prix. Si le salaire moyen des Tchadiens était de 35 000 CFA, un conducteur d'ONG peut recevoir 180 000 CFA. Une concession (ces « propriétés » en ville) coûtait 600 000 CFA en février, il faut débourser 2 000 000 CFA aujourd'hui pour en louer une. Il y a trois ans, le poulet coûtait 800 CFA, 1 200 en février : il se négocie aujourd'hui à 4 500 CFA.

Le gramme d'or valait 10 000 CFA en février, il vaut 150 000 aujourd'hui. Sur la même période, le gramme d'argent est passé de 200 CFA à 500 CFA. Un tour de chameau valait 1500 CFA il y a trois ans. Il se négocie à 10 000 aujourd'hui !

Ce boom économique se voit dans les constructions : il y a même un immeuble à trois étages qui est en train de se construire !


7/ La question de la sécurité est devenue centrale à Achébé.

Car d'une part, l'action occidentale (EUFOR, ONU, ONG) vise à apporter une sécurité accrue aux populations aidées. Et l'on constate que dans les camps, les gens se plaisent. Ils sont même peut-être dans une situation plus favorable que le paysan qui travaille alentours : ils sont nourris, ils reçoivent de l'eau, des soins, une alphabétisation. Certes, ils ne sont plus chez eux mais ils peuvent considérer que leur confort a augmenté.

D'autre part, l'action occidentale arrive avec ses moyens et ses standards. Le bouleversement est économique, et social. L'équilibre antérieur est rompu, autant que par la guerre environnante.

Ce bouleversement provoque un brassage de populations : militaires tchadiens ou expatriés d'autres pays, villageois attirés par le mirage de la ville ou parentèle convergeant vers la fièvre de l'or, toute une foule interlope s'assemble ici.


8/ La géographie de la ville se modifie en profondeur, et surtout à grande vitesse. Car c'est dans ce dernier caractère, au fond, que l'on peut parler d'une ville en guerre : à cause de la brusquerie des changements opérés, et dont la cause tient au conflit dans la région, et à l'intrusion de nombreux « extérieurs », venus du Tchad, d'Afrique ou du reste du monde : exogènes par rapport à des indigènes, en rendant à ce mot son premier sens débarrassé de sa coloration raciste.

Ce brutal mélange de deux populations rompt un équilibre humain préexistant. La géographie humaine de la ville s'en trouve bouleversée, mais aussi son organisation humaine.

C'est une certaine économie de guerre qui bouleverse la ville. La ville ne fait pas la guerre, elle est « en » guerre.
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Auteur : Olivier Kempf.

samedi 15 novembre 2008

Les premiers comptes-rendus du FIG


Les premiers compte-rendus du Festival international de géographie 2008 consacré à la problématique "Entre guerres et conflits : la planète sous tension" sont en ligne.

  • La conférence-débat "Les Etats-Unis, gendarme du monde ?" animée par Patrice De Beer (éditorialiste, ancien correspondant du Monde à Washington), avec Saïda Bédar (chercheur au CAPRI) et le Général Christian Delanghe (potomac strategies international).
  • "Balkans 2008 : une géographie de la violence" par Michel Sivignon (professeur émérite de l'Université Paris X, spécialiste de la Grèce et des Balkans). A noter, Michel Sivignon vient d'écrire un ouvrage de géographie sur les Balkans (le dernier ouvrage généraliste sur la question date de 1994 - Georges Prévélakis, Les Balkans. Cultures et géopolitique, Nathan, collection Petites Références, 191 pages). Ce livre intitulé Géopolitique de la violence : les Balkans sortira en décembre 2008 aux éditions Belin (collection Mappemonde).
  • "Les équilibres autour de la Caspienne par Pascal Marchand (professeur de géographie à l'Université Lyon 2, spécialiste de la Russie, notamment auteur de Géopolitique de la Russie aux éditions Ellipses, 2007, 620 pages).


L'ensemble des actes du FIG 2008 sera très certainement complété prochainement, les interventions y ont été riches et il était difficile de faire un choix entre toutes... A noter : les compte-rendus des cafés géo qui ont été animés lors du FIG 2008 sont disponibles sur le site des Cafés géo :

  • "Les conflits soudanais" par Eric Denis (chargé de recherches au CNRS, spécialiste de l'Egypte et du Soudan), Claude Iverné (fondateur d'Elnour, bureau de documentation consacré au Soudan) et Marc Lavergne (chargé de recherches au CNRS, spécialiste du Darfour et du Soudan).
  • "Guérillas urbaines" par Michel Lussault (professeur de géographie à l'ENS Lyon, qui a récemment travaillé sur les questions de la ville vulnérable et sur les représentations qu'en ont les hommes).



A noter : le prochain FIG (1er week-end d'octobre 2009) aura pour thème "Géographie des mers" et pour pays invité l'Espagne.