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mercredi 29 octobre 2008

Pourquoi meurt-on au Darfour (Outre-Terre n°20)


Le n°20 de la revue Outre-Terre est consacré à la question "Pourquoi meurt-on au Darfour ?". La revue regroupe ainsi 37 articles consacrés à ce sujet (et 3 autres articles "varia"), organisés en 6 parties : Modèles d'explication, Des Soudans au Soudan, L'infrastructure énergétique du conflit, Voisins (de voisins), Darfour d'Afrique ? (présentant un tableau de la presse africaine), Que faire ? Les contributions des auteurs, venant d'horizons disciplinaires très variés, offrent des pistes de lecture et de compréhension sur une situation parfois oubliée.



Michel Korinman, le directeur de la revue, l'explique bien dans un article introductif intitulé "Inferno Lost" : "Curieusement, la communauté internationale a mis un an à appréhender l'étendue de l'horreur. Or, en janvier 2004, il y avait déjà selon l'ONU en gros 700 000 personnes déplacées : 600 000 à l'intérieur du Darfour à proprement parler, 95 000 au Tchad voisin. [...] Relevé en 2003 : trois mentions superficielles dans le Washington Post ; rien sur CNN (avant mai 2004) ; rien de substantiel dans le Daily Telegraph, le Times de Londres et l'Independant (avant avril 2004) ; trois références en passant dans Le Monde (dont l'une à l'intérieur d'un article sur Proust). Même constat pour les organisations humanitaires, à part Médecins sans frontières « exemplaire », Amnesty International, ou de petits groupes comme Justice Africa au Royaume-Uni et le militant pour un Soudan indépendant Eric Reeves. Ceci alors que Human Rights Watch (HRW) – premier rapport en avril 2004 – ou International Crisis Group (ICG) – analyse de fond en mars 2004 [HRW ayant cependant abordé la question dès l'année précédente] – informent sur le Soudan depuis des années". Le "décor" est posé : pourquoi a-t-on tardé à parler du Darfour ? Pourquoi tarde-t-on aujourd'hui à y intervenir ? Quelles sont les conséquences politiques, économiques et sociales de tels retards dans la prise de conscience et de décisions ? Les problématiques sont donc multiples et la revue se construit autour de contributions pluridisciplinaires.



On notera dans la partie introductive l'entretien accordé par l'ambassadeur du Soudan M.Ahmad Hamid al-Faki Hamid à Michel Korinman, qui revient sur les tensions internes au pays et permettent d'appréhender le point de vue officiel du Soudan sur la crise du Darfour. Autre point de vue politique interne : la contribution du Président du Mouvement de libération du Soudan (SLM) Abdelwahid Mohamed Ahmed al-Nur. Ces 2 articles relèvent d'une démarche originale de la revue qui part à la rencontre d'acteurs politiques impliqués dans la crise du Darfour. Elles permettent aux lecteurs de se faire sa propre opinion sur de tels discours politiques, avec un éclairage approfondi de la situation à travers de nombreuses analyses divisées en 6 parties.



La 1ère partie, consacrée aux "Modèles d'explication" est constituée de 11 articles. Richard Rossin (chirurgien orthopédiste, écrivain, ancien secrétaire général de MSF, cofondateur de Médecins du Monde, délégué général du Collectif Urgence Darfour) présente une chronologie explicative des événements et les principaux enjeux de cette crise humanitaire, dans son article "Du Darfour au Soudan" revenant principalement sur le silence et l'inaction de la communauté internationale.

Le 2nd article, "Comment le Soudan pourrait venir à bout du Darfour", a été rédigé par Munzoul A. M. Assal, professeur d'anthropologie à l'université de Khartoum. Il revient sur le processus de marginalisation politique, sociale et identitaire du Darfour mis en place par les gouvernement soudanais depuis les années 1980. Il analyse ainsi l'histoire du Darfour et de l'identité de ses populations, le concept de "tribu" et ses conséquences, ainsi que la place prépondérante des ressources tant du côté soudanais, que du côté darfourien (avec la détérioration continue des conditions de survie et la lutte pour la survie devenue normalisée).

Dans son article "Au Darfour après Abuja : quand l'insécurité devient la règle", Jérôme Tubiana (journaliste indépendant et auteur d'une thèse sur les éleveurs nomades au Nord du Tchad, du Niger et du Darfour au Soudan, responsable de l'exposition Darfour : Généalogie d'un conflit) revient sur les conséquences en termes d'insécurité des négociations entre gouvernement et rebelles à Abuja (Nigeria) qui aboutirent à un accord de paix le 5 mai 2006. Il analyse ainsi chronologiquement le regain de violence de l'année 2006 et le fragile retour au calme au début de l'année 2007, pour conclure à la normalisation de la violence comme forme de territorialisation et mode d'habiter. L'originalité de l'article vient de la 2ème partie : "Vivre dans une zone contrôlée par un groupe armé : trois cas au Darfour Nord", où l'on découvre les enjeux des miliciens (contrôle territorial, maillage sécuritaire, contrôle de la population...) et ceux de la population civile (sécuritaire alimentaire, enjeux identitaires, rapports avec les groupes armés...).

L'article suivant, rédigé par David Hoile (directeur du Sudan Research Centre à Londres, professeur à l'université des sciences et technologies de Khartoum, auteur de Darfur : The Road to Peace, paru en juillet 2008), met l'accent sur les silences et les inactions autour du Darfour. Intitulé "Darfour : des vérités qui dérangent", l'article recense ainsi l'emploi abusif du terme génocide par l'administration Bush, la question des origines de la guerre, le niveau du conflit en soi au moment où la communauté internationale se décide à se préoccuper de la situation du Darfour, la propagande et l'opportunisme politiques de certains acteurs internes comme externes (Etats, groupes militants...), et revient ainsi sur les enjeux politiques qui entourent la décision d'intervenir par le biais de l'ONU au Darfour.

Khalid Ali El-Amin (docteur de l'Université de Khartoum, attaché au Development Studies and Research Institute) présente un article intitulé : "Darfour : comment se réconcilier à la base entre communautés", qui étudie les enjeux autour de l'identité des tribus, les impacts de l'appropriation de l'espace par des communautés différenciées et le défi de la démobilisation des milices tribales, autour des problématiques de sécurisation de la région et de réconciliation.

Une très courte note de Marion Grassi (étudiante en Master politique et développement en Afrique et dans les pays du Sud à Sciences Po Bordeaux) se propose d'analyser "Ce que « parler du Darfour » veut dire... ", donnant quelques pistes de décryptage et de comparaison de la presse internationale et de la presse soudanaise.

Alice Franck (docteur en géographie, auteur d'une thèse intitulée "Produire pour la ville, produire la ville : Etude de l’intégration des activités agricoles et des agriculteurs dans l’agglomération du Grand Khartoum (Soudan)", ATER à l'Université de Provence), revient, dans son article intitulé "En marge d'un conflit : les populations du Darfour dans l'agriculture urbaine du grand Khartoum (Soudan)", sur les conséquences démographiques et sociales du déplacement de populations du Darfour vers Khartoum, ville-refuge. On y découvre, notamment, le mode d'habiter de ces déplacés ruraux qui s'installent, les modalités d'intégration à la vie urbaine de Khartoum et les liens entre déplacés de l'exode rural et la région d'origine. Les nombreuses figures (cartes, graphiques, tableaux, encarts) rendent la lecture agréable et renforcent la pertinence de l'article.

Dans la continuité, l'article sur "Les réseaux zaghawa du souk Libya" (à Khartoum), rédigé par Raphaëlle Chevrillon-Guibert (doctorante en science politique et ATER à l'Université d'Auvergne), analyse le souk Libya comme lieu de la mondialisation issue de différentes stratégies résidentielles entre mobilité de certains et sedentarité des autres. Son développement montre également l'ancrage urbain de ce haut-lieu du commerce tant dans les rivalités politiques locales que dans les stratégies financières transnationales.
Moshe Terdiman (directeur de recherches au PRISM du Centre Herzliya, directeur du projet Islam en Afrique et post-doctorant au Moshe Dayan Center à l'université de Tel-Aviv) propose, quant à lui, une analyse sur "Sécurité environnementale, changements climatiques et conflits : le cas du Darfour". Il aborde là un sujet d'actualité à travers le cas particulier du Darfour : l'impact du changement climatique sur les stratégies de survie des populations (notamment par le biais de déplacements ou de changements d'activités) est analysé au regard des conséquences sur les tensions existant entre les différentes communautés (notamment dans le lien entre ruraux et urbains).

Eric Denis (chercheur au SEDET - CNRS-Paris 7) choisit d'étudier les "Inégalités régionales et rebéllions au Soudan", dépassant ainsi l'échelle du seul Darfour pour le replacer dans un contexte de tensions régionales multiples. Illustré de nombreuses figures (cartes, tableaux et graphiques), son article analyse les relations de pouvoir et les rivalités qui existent au sein des régions, et entre les régions, ainsi que les conditions d'un mal-développement régional, porteur de germes de tensions.

Claude Iverné (fondateur d'Elnour, bureau de documentation consacré au Soudan) offre aux lecteurs quelques photographies d'un ouvrage consacré à l'imagerie du Soudan (à paraître), clichés insistant sur la population du Darfour et montrant quelques instannés des modes de vie décrits dans les autres articles. Par exemple, on y retrouve Adam Abdala Adam (paysan du groupe ethnique Four, vivant dans le village de Golo).



La 2ème partie "Des Soudans au Soudan" présente 2 articles de Christian Delmet (anthropologue, associé au CEMAf, ancien responsable du CEDEF à Khartoum). Le 1er est consacré au "conflit dans les Monts Nouba/Sud-Kordofan (1985-2005)". Il présente brièvement la population nouba, ses conditions de vie, les problèmes liés aux questions foncières, socio-politiques, culturelles... et les conséquences de l'intervention internationale. Le 2ème, intitulé "Un Soudan, des Soudan", montre, à travers une chronologie des tensions au Soudan, combien la question des revendications et des rebellions régionales paisent sur la durabilité de l'Etat soudanais et de sa souveraineté sur son territoire.



La 3ème partie, "L'infrastructure énergétique du conflit", est consacrée à la question énergétique et les enjeux géopolitiques qui découlent de la présence de pétrole au Soudan, entre mythifications et réalités, entre enjeux locaux et internationaux, entre tensions internes et processus mondialisés. Wu Lei (professeur au Center for Energy Security and Strategy, Université du Yunnan, Kunming, Chine) analyse les liens entre "le pétrole, la question du Darfour et le dilemme chinois". Le fait que l'article soit rédigé par un chercheur chinois offre une grande originalité et permet de le confronter à des lectures "occidentalisées" de cette problématique. La revue fait, une fois de plus, preuve d'originalité quant au choix des contributeurs, ce qui permet d'apporter un regard plus complet sur les différentes analyses faites sur la région du Darfour et sur les problématiques soulevées par le cas du Soudan. Ronan Morin-Allory (doctorant à l'Université Paris-Sorbonne) propose un article sur "Chine-Soudan, une amitié à l'ombre des derricks" qui complète ce panel des points de vue, en analysant les rivalités entre les acteurs liés au pétrole soudanais.



La 4ème partie fait le tour des perceptions du conflit du Darfour et des enjeux internes dans les pays voisins du Soudan : l'Egypte (par Tewfik Aclimandos), la Libye (par luis Martinez), la géopolitique du Tchad (par Gérard-François Dumont), les relations Tchad/Soudan (par Babett et Tim Janszky), les tensions régionales au Tchad (par Jérôme Tubiana et Victor Tanner), la question du respect des droits de l'Homme au Tchad (par Jonathan Jackowska).



La 5ème partie "Darfour d'Afrique ?" pose la question de l'imagerie et du traitement dans la presse du conflit du Darfour. Jean-Baptiste Onana analyse les "Représentations africaines du Darfour", et Medhane Tadesse les relations entre "Ethiopie et (Sud)-Soudan. Des spécialistes proposent ensuite de brèves analyses de la presse africaine vis-à-vis de la question du Darfour : le lecteur peut ainsi comparer les points de vue donnés par la presse au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Togo, au Bénin, au Kenya, et en Ouganda.



La 6ème partie pose la question de l'intervention et de l'aide à apporter : "Que faire ?". Mario Bettati (représentant spécial du Ministre des Affaires étrangères et européennes) propose une réflexion juridique à travers la question du droit international, du droit d'ingérence et du devoir de protéger les populations. Maria M. Gabrielsen (doctorante en science politique des relations internationales au CERI, Sciences Po Paris) montre les rivalités de pouvoir entre intervention politique et aide humanitaire des différents Etats impliqués, notamment les Etats-Unis. Marc Fontier (docteur en Etudes Africaines, spécialisé sur l'histoire de la Corne de l'Afrique et sur les problématiques de crise en Afrique subsaharienne) analyse les enjeux des institutions internationales entre 2003 et 2007, et revient notamment sur le non-interventionnisme de l'ONU jusqu'en 2005 et sur les enjeux d'une intervention tardive.



On retrouve également dans la revue un article "varia" : "L'intervention éthiopienne en Somalie : la croix contre le croissant ?" d'Alain Gascon (professeur à l'Institut français de géopolitique de l'Université Paris 8) qui revient sur les différentes interventions militaires, leurs semi-échecs et les enjeux actuels d'une région "oubliée".



Les articles compilés dans ce numéro relèvent d'objectifs très différents : certains ne sont que des notes très courtes qui offrent quelques pistes de réflexion et quelques éléments de réponse, tandis que d'autres sont des articles plus longs qui proposent une analyse plus structurée d'un processus très précis au sein du conflit au Darfour. L'originalité vient également de l'approche multiscalaire, et la prise en compte des conséquences sur les espaces humains et les espaces politiques voisins du conflit (que ce soit dans les frontières du Soudan, ou dans les pays voisins). Une revue qui vient compléter, par exemple, les analyses d'anciens numéros des revues Politique africaine et Afrique contemporaine ou les articles du géographe Marc Lavergne, en offrant quelques compléments d'analyse et des éclairages originaux par l'approche.


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