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mardi 4 novembre 2008

La géographie en poster (1) : Les montagnes, des zones sous tension


Quelques commentaires que m'ont inspirée les différents posters présentés lors du Festival international de géographie 2008 sur le thème : "Guerres et conflits : la planète sous tension", en attendant que les auteurs des différentes interventions mettent en ligne leurs contributions.

Les différents posters proposés ont peu traité de la manière de faire la guerre et de construire la paix, et de l'originalité de l'analyse géographique dans la compréhension du lien entre les spécificités des guerres, leur déroulement et la compléxité des territoires (tant à l'échelle tactique, qu'à l'échelle stratégique). A remarquer : l'intervention du géographe Paul Claval sur "Les outils géographiques pour penser la guerre, penser la paix" qui revient sur le contexte occidental, son appréhension de la guerre et de la paix, et les outils spécifiques de l'analyse géographique. Il replace le rôle et la perception de l'Etat souverain dans la construction des relations internationales selon la conception occidentale, avant de présenter les nouveaux modèles de pensée qui se sont imposés avec les bouleversements géopolitiques du XXème siècle et conclut que l' "on commence à peine à apprendre à penser les problèmes de la paix dans les cadres qui se mettent ainsi en place". Si cette intervention ne présente rien de très original, elle permet surtout de recadrer les grandes lignes de pensée qui ont marqué la géographie et les autres sciences sociales dans leur appréhension du couple guerre/paix.

On trouve, par contre, plusieurs posters sur les liens entre conflits et identités dans les zones montagneuses. Ces posters ont été réalisés par des étudiants du Master de géographie de l'université de Genève, qui se sont donnés pour objectif de présenter le lien entre les spécificités de la montagne et les représentations qu'en ont les hommes (qu'ils soient des acteurs internes ou des acteurs extérieurs) dans le cas de rivalités de pouvoir et de tensions quant à l'utilisation et l'appropriation du territoire. Ces posters présentent un regard original, celui de la géographie culturelle et de la géographie des représentations, en montrant avant tout comment les hommes perçoivent leur espace, le contruisent en fonction et combien ces représentations sont l'objet de rivalités identitaires, politiques et économiques.




Batailles en montagnes : Imaginaire des origines

Le poster Batailles en montagne. Imaginaire des origines se donne pour problématique : "des batailles héroïques au service de l'historiographie nationale". Il montre comment la France et la Suisse ont intégré différemment l'espace montagnard dans la construction de leur identité nationale. Les différentes nations n'ont pas la même conception de l'espace montagnard, ce qui induit des aménagements du territoire différenciés. La montagne est un milieu qui semble hostile : "la montagne fut depuis toujours le domaine de l’inconnu, des esprits maléfiques" (compte-rendu de la conférence sur "La montagne et la guerre" dans le cadre de l'Université d'Automne de Chambéry de 2002). L'imaginaire autour de la montagne explique comment celle-ci a intégrée différemment dans le temps et dans l'espace. En France, cette représentation spatiale a profondément évolué : longtemps perçue comme un espace répulsif et sauvage, sans ressource digne d'intérêt, la montagne a longtemps gardé l'image d'une zone dangereuse, difficile à maitriser. A cette perception s'ajoutent des difficultés d'ordre technique et matériel, qui accentuent l'impression de dangerosité de ce milieu. "Comme la guerre en plaine, la guerre en montagne connaît une première révolution au début du XVIIe siècle, passant du simple choc entre deux armées à une multitude de combats entre petits détachements. En effet, jusqu'à cette période, les piètres performances de l'armement ne permettent pas de tenir le terrain et obligent les armées à se déplacer et à combattre regroupées. Dans un milieu très contraignant qui limite fortement les possibilités de manoeuvre, cette décentralisation impossible du combat pose un problème tactique insoluble" (Guerre en montagne. Renouveau tactique, Lieutenant-colonel Hervé de Courrèges, Lieutenant-colonel Pierre-Joseph Givre et Lieutenant-colonel Nicolas Le Nen, 2006, p.1). Ce caractère dangereux confère aux batailles en montagne un "héroïsme" utilisé pour valoriser l'identité nationale. En France, la montagne est devenue au XXe siècle un espace exploré et attractif par la déconstruction du mythe d'une montagne répulsive et dangereuse qui a fortement influencé l'aménagement du territoire. La montagne est ainsi passée, dans l'imaginaire collectif des Français, d'un espace de confins, d'une frontière "naturelle", à un espace doté de ressources, un espace "à consommer". Le poster montre combien l'intégration des batailles en montagne dans l'histoire enseignée en France et en Suisse relèvent de 2 perceptions différentes : la Suisse ayant très tôt intégré la montagne, la France l'ayant longtemps "rejetée" comme un espace sans autre fonction que de servir de glacis protecteur.




La montagne et l'identité basque : un argument autonomiste ?

La question basque est souvent analysée à travers le rapport entre la langue, l'identité et le territoire. L'originalité de ce poster est de montrer combien cette identité s'ancre également dans un rapport particulier à l'espace montagnard. Le poster revient sur les revndications d'autonomie d'un pays basque français et espagnol ainsi réuni en un seul Etat au cours du XIXe siècle. A l'heure de la "naissance" des nationalismes et des régionalismes en Europe, chacun porte un regard particulier au paysage dans lequel il inscrit son identité. Pour les Basques, la montagne va être idéalisée : elle devient la zone-refuge d'un peuple qui cherche à s'autonomiser, mais également un critère de différenciation par rapport aux peuples français et espagnol. Le poster fait allusion à la différence entre montagne-coupure et montagne-couture, référence très intéressante à la différenciation conceptuelle qui existe entre les 2 conceptions de la frontière. Les concepts anglo-saxons sont d'ailleurs plus expressifs, puisqu'ils distinguent : boundary (la frontière-coupure, c'est-à-dire la frontière conçue comme une ligne de démarcation, une limite administrative matérialisée) et frontier (la frontière-couture, à savoir la frontière appréhendée dans sa dimension zonale). Loin d'être une frontière "naturelle", la montagne constitue un critère de différenciation qui forge l'identité basque de ar et d'autre de la frontière franco-espagnole.


Quelques articles en ligne pour approfondir la question de l'identité basque :
  • Un entretien avec Jean Haritschelhar (président de l'Académie de la langue basque) "La langue plus forte que les gènes" accordé à L'Express, et le texte d'une conférence qu'il a donné sur "L'identité basque" (le 5 décembre 2002 au Centre Culturel Hâ 32 à Bordeaux).



Les Andes et la question indigène : Identités boliviennes en conflit

Ce poster montre l'importance dans la vie politique bolivienne de la question des minorités et de l'identité, notamment à travers l'exemple de la carrière d'Evo Morales, 1er président indigène d'Amérique depuis 2005. La Bolivie est un pays enclavé, dans lequel la question des différentes identités se traduit sur la scène politique. Les questions de la territorialité des populations indigènes, de leur place dans la vie économique (notamment au travers de la question des ressources en gaz), de leur marginalisation sociale et culturelle ont été autant d'enjeux de la dernière élection présidentielle qui sont ici présentés. Aujourd'hui, les revendications sécessionnistes continuent de menacer l'unité du pays et la souveraineté de l'Etat sur l'ensemble de son territoire. En effet, en mai 2008, dans la province de Santa Cruz, s'est tenu un référendum jugé illégal par les autorités étatiques, organisé par le préfet de cette province Ruben Costas. L'enjeu : le statut d'uatonomie régional. En juin 2008, les référendums de ce type se sont multipliés. Le pouvoir d'Evo Morales s'en est trouvé affaibli, et celui-ci a organisé un référendum remettant en cause son mandat : le 10 août 2008, 62 % des votants ont conforté Morales à son poste. Néanmoins, les tensions entre le pouvoir étatique et l'opposition sont nombreuses et fragilisent la stabilité du pays. La rue bolivienne est devenue un espace de toutes les revendications entre partisans et opposants d'Evo Morales. Pour approfondir la question de la Bolivie, retrouvez le site la géographe Laetitia Perrier Bruslé "Géographe à la limite : Etude géographique des frontières en Amérique du Sud" avec sa thèse, quelques articles et de nombreuses cartes, ainsi que sa contribution sur le site Géoconfluences sur "La Bolivie à la conquête de l'Est. Flux migratoires et intégration territoriale des marges orientales" particulièrement démonstrative, avec de nombreuses figures et cartes.




Tintouin au Tibet

L'humour est de rigueur, mais n'empêche pas le sérieurx de ce poster. En effet, "Tintouin au Tibet" offre une approche très pédagogique pour montrer les différents points de vue d'une même question. Le Tibet est ici vu à travers le regard de Tintin (en référence à la célèbre bande dessinée), symbole du regard occidental porté sur une région sous tension. Si les aventures de Tintin au Tibet se déroulent dans les années 1950, les questions que posent la bande dessinée sont très actuelles. Alors que les Jeux olympiques d'été 2008 à Pékin ont réactualisés très temporairement la question du Tibet comme Etat indépendant ou région chinoise sous contrôle, la question des différents regards que l'on porte sur le Tibet est toujours autant d'actualité. Le poster postule un point de vue original : celui de montrer le regard occidental (on retrouve dans L'Atlas des Atlas les points de vue tibétains indépendantistes, tibétains de Dharamsala, chinois et indiens) et de son discours pro-tibétain. Le poster montre les différentes perceptions de la montagne à travers le monde et oppose ainsi l'imaginaire romantique occidental (qui conçoit la montagne comme un espace dangereux, digne du dépassement de soi, et donc empreint de libertés pour celui qui l'affronte) à la réalité tibétaine (où la montagne est un espace disputé créateurs de tensions : un refuge pour les Tibétains d'une part, et une zone de profondeur stratégique primordiale pour les Chinois d'autre part). A lire : "Géopolitique du Tibet" (compte-rendu du Café géo animé par Pierre Chapoutot, du 27 février 2002, à Aix-en-Provence).




Les autres posters présentés par le Master de Genève
  • Invention de l'identité berbère : stratégie coloniale ? (un poster qui revient sur la maîtrise du territoire et la "manipulation" de l'identité conçues comme des moyens d'assurer la pérénité de la colonisation et le maintien de l'ordre au Maroc lors de l'établissement du protectorat français)
  • Déchirement du Jura : "Pluralité des identités" (un poster qui analyse les conflits identitaires, les revendications séparatistes et l'utilisation de la violence dans le Jura dans les années 1970, lorsque ce dernier se détache du Canton de Berne et devient un nouveau canton suisse)



La guerre et la montagne

Les montagnes sont au coeur de l'actualité stratégique et tactique : zones-refuges des minorités, elles constituent des zones grises tant à l'échelle étatique qu'à l'échelle internationale. Les facteurs de tensions sont très nombreux : utilisation du territoire (conflits d'usage des ressources, tensions autour de l'aménagement du territoire), différends frontaliers, revendications séparatistes et/ou indépendantistes, refuge des mouvements de guérillas... "Objet géographique multiforme, les montagnes constituent une réalité dont on ne peut faire abstraction en matière de géopolitique. Cet espace affecte les conflits qui s’y déroulent, qu’il s’agisse de pacifiques concurrences entre des institutions démocratiques ou, au contraire, de guérillas et même de guerres entres États pour le contrôle d’une chaîne de montagnes et de son piémont, comme c’est actuellement le cas au Cachemire, en Tchétchénie ou au Népal, et aussi, dans une grande mesure, en Afghanistan. En freinant les déplacements de troupes et d’engins de transport, la raideur des versants modifie sensiblement les rapports de forces qui se déploient habituellement en plaine. Et lors des combats en montagne, les défenseurs ont l’avantage de tenir des positions dominantes, alors qu’en contrebas les assaillants doivent gravir des pentes sous les projectiles de leurs adversaires. Au milieu du xxe siècle, les militaires ont pu croire que l’aviation et surtout les hélicoptères allaient régler ces problèmes. Mais ils se reposent à nouveau depuis les guerres d’Afghanistan, avec les nouvelles armes dont s’équipent les montagnards (lance-missiles légers). Par ailleurs, les dirigeants des mouvements séparatistes qui se revendiquent du particularisme des peuples montagnards, devraient se rappeler que la montagne n’est pas un monde en soi et qu’elle a toujours eu des rapports avec les plaines voisines. Qu’il s’agisse des Basques, des Corses, des Kabyles ou des Tchétchènes, la plus grande partie de ces peuples ne vit plus en montagne, mais dans les villes de la plaine" (présentation du n°107 de la revue Hérodote, 4ème trimestre 2002). Le lien entre la ville et la montagne est donc primordial pour comprendre l'importance stratégique de ces zones-refuges qui constituent autant de zones de repli et offrent une profondeur stratégique à des mouvements de guérilla. Le lieutenant-colonel Martin (ancien officier des Troupes alpines) et Christophe Gauchon (maître de conférences à l'université de Savoie) rappellent ainsi qu'en 2001, sur les 27 conflits identifiés, 23 se déroulent en partie sur des zones montagneuses. "Tous les stratèges militaires s’accordent sur ce point. La guerre de montagne va prendre de plus en plus d’importance. Les zones de conflits actuels illustrent bien cette vision de la guerre : Colombie, Népal, Kurdistan, Caucase, Kabylie, Afghanistan, etc…La guerre en montagne est souvent qualifiée de « guerre des pauvres » car elle « nivelle » les moyens techniques. Là où une troupe faiblement équipée se fera écraser rapidement en plaine, elle pourra résister, voire porter des coups sévères à l’adversaire. La guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques illustre bien ce fait" (compte-rendu de la conférence sur "La montagne et la guerre" dans le cadre de l'Université d'Automne de Chambéry de 2002).




Pour aller plus loin sur le lien entre guerre et montagne :

  • Quelques points dans le compte-rendu de la conférence "La montagne et la guerre : étude de cas" par le lieutenant-colonel Martin (ancien officier des Troupes alpines) et Christophe Gauchon (maître de conférences à l'université de Savoie), lors de la session Enseigner le monde contemporain : guerres et conflits, lors de l'Université d'Automne de Chambéry du 24 au 26 octobre 2002.
  • Guerre en montagne. Renouveau tactique, Lieutenant-colonel Hervé de Courrèges, Lieutenant-colonel Pierre-Joseph Givre et Lieutenant-colonel Nicolas Le Nen, Economica, collection Stratégies & Doctrines, Paris, 2006, 142 pages. François Duran, sur son blog Théâtre des Opérations, nous en livre d'ailleurs une fiche de lecture très détaillée qui présente la 1ère partie de l'ouvrage : principes tactiques. Il est complété d'une 2nde partie qui présente des cas concrets de combats en montagne au cours du XXème siècle, qui illustrent les évolutions de la pensée militaire et des modalités de l'engagement en terrain montagneux (bataille du Dobropolié, bataille du Suomussalmi, bataille des Apennins, opération Panjshir V, bataille du Mount Harriet, opération Anaconda).

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