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dimanche 16 novembre 2008

Les camps dans la région d'Abéché (1) : la territorialisation des réfugiés



Olivier Kempf, dans son blog Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques, propose un article très intéressant sur le cas d'Abéché, une ville-refuge du centre-Est du Tchad. Ville-refuge, car comme le définit Olivier Kempf, "il s'agit de la ville dont le fonctionnement est altéré par la guerre environnante, même si elle ne souffre pas directement de méfaits de la guerre". Le cas est d'autant plus intéressant que la ville est ici affectée à la fois par les tensions internes et par une guerre qui se déroule au-delà des frontières étatiques. L'afflux de populations réfugiés provenant du darfour voisin dans des camps, territoires construits dans l'urgence, entraîne des modifications du peuplement dans l'ensemble de la région. Olivier Kempf le montre : une accélération de l'exode rural, une arrivée massive d'acteurs extérieurs dans une "ville-vitrine" ("avec un peu d'ironie, on évoquera l'arme des ONG : il y aurait 46 ONG en ville ! Le processus est connu, et dû à la logique de fonctionnement économico-médiatique de cette catégorie : pour faire son travail, il faut des fonds, qu'on rassemble à coup de publicité, qu'on justifie en allant dans les endroits les plus emblématiques. Achébé a vu passer Georges Clooney et l'Arche de Zoé, une ONG sérieuse doit donc avoir un bureau à Achébé"). Mais également, "ville militarisée" : ces tensions se traduisent par la militarisation de la ville. Les camps militaires font apparaître de nouvelles formes de territorialisation, mais également de nouvelles formes de pouvoir dans la ville d'Achébé, spécifiques aux contingences militaires. De plus, la région d'Ouaddaï est une région d'accueil de très nombreux réfugiés soudanais. Comme le rappelle Olivier Kempf, "Achébé est la grande ville de l'est du Tchad. C'est la région limitrophe du Darfour soudanais [...] Le Ouaddaï accueille tout d'abord de nombreux réfugiés et déplacés provoqués par la crise du Darfour, agglutinés dans des camps le long de la frontière". L'arrivée d'acteurs extérieurs dans la ville d'Abéché ou à proximité de la ville a donc des conséquences avec l'apparition de nouvelles formes d'autorités, et entretient de nouvelles rivalités de pouvoir dans le contrôle et l'appropriation de l'espace. La démonstration d'Olivier Kempf montre bien les bouleversements de la géographie sociale dans cette ville. il en conlut que "c'est une certaine économie de guerre qui bouleverse la ville. La ville ne fait pas la guerre, mais elle est « en » guerre". Même si la guerre n'est pas dans la ville, elle peut la transformer par des conséquences indirectes.




Un camp de réfugiés au sud d'Abéché


Yann Arthus-Bertrand a monté une exposition pédagogique en ligne sur "Le développement durable, pourquoi ?" à partir de ces photographies. Parmi celles-ci, la thématique "Etre réfugié" est illustrée par une photographie d'un camp de réfugiés soudanais de Goz Amer, à 217 km au Sud d'Achébé. Ce camp de réfugiés a été ouvert en avril 2004 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) pour accueillir les réfugiés venant du Darfour voisin. Le camp de réfugiés est un espace construit dans l'urgence, qui se définit par une appropriation spatiale extrême, une forme de marginalisation temporaire qui peut s'ancrer dans le long terme, et un espace politique qui amène de nouvelles rivalités de pouvoir. L'anthropologue Michel Agier analyse ainsi les camps de réfugiés comme "à la fois l’emblème de cette condition sociale formée par le tandem guerre/humanitaire, et le lieu où elle se construit de la manière la plus élaborée, comme une vie maintenue à distance du monde social et politique ordinaire" ("De nouvelles villes : les camps de réfugiés. Eléments d'ethnologie urbaine", Annales de la recherche urbaine, n°91, p. 129). Ce nouveau territoire implanté modifie profondément l'organisation des territoires environnants. D'une part, les habitants des zones rurales aux alentours des camps de réfugiés bénéficient d'une implantation urbaine, qui leur permet d'écouler leurs marchandises vivrières. Il s'agit en effet d'un nouveau marché avec une population démunie, qui ne sort pas des camps et qui sont autant de bouches à nourrir. Si les populations sont démunies, la présence des ONG permet de faire vivre ce marché vivrier, et ainsi se développe une économie "artificielle" (car temporaire, mais souvent porteuse de profondes modifications dans l'organisation des réseaux de distribution : les paysans se tournent plus aisément vers les camps de réfugiés du fait du fort pouvoir d'achat des ONG, et délaissent ainsi leurs marchés urbains "traditionnels"). De plus, s'instaure une réelle concurrence pour le territoire entre les paysans et l'installation du camp de réfugiés. Ce dernier "grignote" de l'espace, les zones dédiées à une agriculture peu productive en sont réduites. Au final, des tensions naissent entre des réfugiés qui bénéficient d'une aide humanitaire d'autant plus conséquente qu'elle sera médiatisée, tandis que la situation des ruraux ou des urbains vivant à proximité de ces camps se détériore (partage du territoire, partage des produits vivriers). Olivier Kempf le démontre clairement : "et l'on constate que dans les camps, les gens se plaisent. Ils sont même peut-être dans une situation plus favorable que le paysan qui travaille alentours : ils sont nourris, ils reçoivent de l'eau, des soins, une alphabétisation. Certes, ils ne sont plus chez eux mais ils peuvent considérer que leur confort a augmenté". La présence des humanitaires dans les villes aux alentours du ou des camps de réfugiés modifie également la géographie sociale et culturelle. Ces acteurs extérieurs ont un mode de vie différent des urbains locaux (habitudes alimentaires, utilisation de véhicules, conditions de logements...) et un pouvoir d'achat nettement supérieur (qui réhausse les prix dans la ville lorsque les organisations humanitaires sont très nombreuses). Olivier Kempf montre combien l'exemple d'Achébé, ville-vitrine, est, à ce titre, illustratif. D'autre part, les camps de réfugiés recréent une véritable vie urbaine, avec des services de base (alimentation, eau, soins médicaux). Ces espaces clos sont organisés et socialisés par les ONG. Virginie Tallio (doctorante en ethnologie et en anthropologie sociale à l'EHESS) le montre à propos du camp de Nkondo en République Démocratique du Congo : "les agences humanitaires internationales, que ce soit les institutions onusiennes ou les O.N.G., ont donc modelé un espace et créé des catégories spécifiques afin de gérer les camps et d'assurer à la population la satisfaction de ses besoins vitaux. Mais les contraintes des programmes des agences humanitaires sont contournées par les réfugiés. Ainsi, leur mise en place contribue à faire jaillir des formes de socialisation et de politisation dans la gestion de la vie biologique. Ce constat dessine une nouvelle piste de recherche, celle de l'émergence d'une forme de pouvoir particulière à cet espace. Celui-ci, aux vues du contexte dans lequel s'effectue l'intervention humanitaire dans les camps de réfugiés, s'assimile à la « bio-politique », dans le sens foucaldien du terme [cf. Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1987], mais n'en reste pas moins caractéristique d'un espace où les sujets deviennent acteurs" (Virginie Tallio, "L'humanitaire comme producteur de territoire. L'exemple dy camp de Nkondo ouvert aux réfugiés angolais en R.D.C.", Bulletin de l'Association de Géographes Français, n°2006-1, mars 2006, pp. 39-49). Le camp devient un espace politique particulier, dans lequel des règles se fondent autour de l'enfermement des habitants. Pas de rencontre donc entre l'espace habité par les locaux et l'espace approprié par les réfugiés, mais des incidences de ce dernier sur les équilibres territoriaux, sociaux et politiques qui pré-existaient à l'installation du ou des camps.



Camps de réfugiés soudanais de Bredjing près de la frontière soudanienne
Tchad (13°28’ N - 21°42’ E) - Yann Arthus-Bertrand
"
Le Soudan, géant africain aux neuf frontières, n’a connu que 11 ans de paix depuis son
indépendance en 1955. La guerre civile trouve son origine dans l’opposition entre un Nord dominant, arabe et musulman et un Sud noir-africain, chrétien et animiste. Depuis 2003, le conflit s’est durci dans la région du Darfour au sud-ouest du pays, où les milices arabes Janjaweed armées par le gouvernement, ont poussé sur les routes plus d’1 million de personnes en une seule année. Près de 200 000 sont réfugiées au Tchad, dans des camps dont la capacité d’accueil est parfois dépassée, comme ici à Bredjing. Aujourd’hui, les guerres civiles sont beaucoup plus fréquentes que les conflits entre nations. Depuis 1990, 55 des 59 conflits enregistrés dans le monde se sont produits à l'intérieur même d'un pays, impliquant ainsi directement la population civile. Plus de 2 millions d'enfants ont été tués au cours de ces combats et 20 millions déplacés. Villages incendiés, pillages, viols, meurtres et destruction systématique des moyens de subsistance... Les populations sont d’autant plus démunies face à ces violences qu’elles émanent de leur propre gouvernement."

Source : site de Yann Arthus-Bertrand.


Quelques lectures sur le Tchad :


  • Géraud Magrin, "Tchad 2008. Géographie d'une guerre ordinaire", Echogéo, rubrique Sur le vif 2008, mis en ligne le 13 mai 2008.
  • Johanne Favre, "Marginalité de l'Etat et violences sociales au Far Est (Tchad oriental)", Bulletin de l'Association de Géographes Français, n°2007-3, septembre 2007, pp. 357-365.
  • Gérard-François Dumont, "Géopolitique et populations au Tchad", Outre-Terre, n°20, 2007/3.
  • Le blog d'Isabelle Bal (18e Régiment des Transmissions) consacré au Tchad et à la mission Epervier.




Quelques lectures sur les camps de réfugiés :


Quelques lectures sur l'action humanitaire et les liens avec l'action militaire :

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