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vendredi 30 janvier 2009

Anthropologie et émeutes urbaines


Le blog "Anthropologie du présent", d'Alain Bertho (professeur d'anthropologie à l'Université Paris 8, qui a notamment co-dirigé avec Clémentine Autain et Stéphane Beaud l'ouvrage Banlieue, lendemains de révolte, 2006, Editeur La dispute) consacré aux affrontements et aux émeutes dans le monde. Pour le seul mois de janvier 2009, on constate que des violences urbaines graves ont eu lieu à Madagascar, en Australie, au Barhein, à Karachi, à Reykjavik, à Vilnius, en Grèce, en Colombie, à Sofia, à Riga, à Oakland. Autant dire que le blog a de beaux jours devant lui !

La riche base documentaire de ce blog propose notamment des cartes particulièrement illustratives comme celle de la typologie des émeutes dans le monde en 2007-2008. On retrouve également un vidéothèque sur les émeutes urbaines, des comptes-rendus de conférences, une sélection d'articles de presse sur les différentes émeutes...


Géocinéma 2009 : "L'étranger"


Le festival Géocinéma 2009 se tiendra du 31 mars au 2 avril 2009 à Bordeaux sur le thème de "l'Etranger". Pour l'instant, l'affiche et le programme ne sont pas disponibles. Vous pouvez d'ores et déjà retrouver les 3 précédentes éditions sur le site Géocinéma :
  • Géocinéma 2006 : "Habiter la ville" (avec des interventions en ligne)
    "Le premier festival Géocinéma a eu pour thème "Habiter la ville" et s’est déroulé du 4 au 6 avril 2006 à Bordeaux. Organisé par le département de géographie de l’Université Michel de Montaigne, il a permis à des géographes de poser une réflexion sur l’espace et la société à travers des films de fiction. Ce festival a rassemblé notamment Jacques Lévy, Thierry Paquot, Patrick Baudry, Jean-François Staszak, Philippe Gervais-Lambony entre autres et s’est déroulé essentiellement au cinéma L’Utopia. Des conférences ont également eu lieu aux librairies Mollat et La Machine à Lire. Les thèmes retenus sont : La ville européenne : Zazie dans le métro, Louis Malle, 1960. Ville et cinéma : La Vie de Jésus, Bruno Dumont, 1997. Habiter l’espace public : Collateral, Michael Mann, 2004. La ville américaine : The Truman Show, Peter Weir, 1998. La ville méditerranéenne : Lisbon Story, Wim Wenders, 1994. La ville ségréguée : Hijack stories, la loi des gangs de Soweto, Oliver Smith, 2000".
  • Géocinéma 2007 : "Le pont" (avec des documents tels des comptes-rendus des interventions sur les films et des conférences, ainsi que des supports pédagogiques)
    "Géocinéma s’est intéressé pour l’édition 2007 au PONT à la fois comme objet de construction de l’espace mais aussi comme métaphore du lien et du passage. Pont-canal, pont de bateau, pont-levis, pont tournant, pont flottant, pont de pierre ou de glace, aérien ou suspendu, pont éphémère du gymnaste ou vieux pont de toujours…, les ponts sont de toutes les sortes. Certains se placent en douce, d’autres s’imposent en force. Les ponts tracent des routes, enjambent des voies d’eau, relient les rives ou marquent les frontières. Qu’ils soient matériels ou symboliques, les ponts font et défont les territoires. Cette rencontre entre la géographie et le cinéma est l’occasion d’interroger le rôle des ponts dans la construction de l’espace. Souvent métaphoriques du lien ou du passage, les ponts du cinéma en disent long aux géographes sur les relations entre les sociétés et leurs espaces."
  • Géocinéma 2008 : "Le vin"
    "En 2008 Géocinéma s’est intéressé au VIN comme produit de terroir, reflet de la diversité culturelle et dimension sociale de notre construction de l’espace. La vigne et le vin sont intimement associés aux valeurs sociales, artistiques et spirituelles de la civilisation occidentale. La culture de la vigne a façonné les paysages et les territoires chers aux géographes. Aujourd’hui, la mondialisation finit d’étendre la civilisation de la vigne. Elle renforce sa culture au-delà de son berceau européen, généralise sa consommation et diffuse dans le monde entier des valeurs communes : la qualité, la convivialité et le savoir-vivre. Le cinéma exprime ces transformations et nourrit une nouvelle géographie de la vigne et du vin".


Plus d'informations sur le prochain festival dès que possible.

jeudi 29 janvier 2009

Les frontières urbaines de l'ex-Yougoslavie : Mostar, Sarajevo, Mitrovica...


Voici un extrait du livre de Michel Sivignon Les Balkans : une géopolitique de la violence (Belin, collection Mappemonde, Paris, 208 pages) sur les frontières urbaines dans les pays de l’ex-Yougoslavie, qui est particulièrement illustratif de l’inscription spatiale des lignes de fracture entre les communautés et des impacts sur les recompositions territoriales en cours. "La frontière est aussi dans les têtes".

Voir également la note de lecture publié sur le site des Cafés géo. "Aux portes de l’Europe riche, s’est jouée il y a quelques années une guerre aujourd’hui oubliée et dont il ne reste que des stigmates. Les Balkans sont devenus une sorte de « terra incognitae » dans l’imaginaire collectif de l’opinion publique européenne. Pourtant, cette aire régionale soulève de nombreux défis dans la construction européenne. Le dernier ouvrage de synthèse consacré aux Balkans datait de 1994 (Georges Prévélakis, 1994, Les Balkans, Nathan, collection Géographie d’aujourd’hui, Paris, 192 p). Depuis, des ouvrages d’histoire et de relations internationales ont été publiés sur les Balkans, les guerres qui ont déchiré cette région et les enjeux actuels de l’instabilité de cette région, mais bien peu de géographie." Lire la suite.



Les frontières urbaines

"Les guerres yougoslaves ont pris la forme de luttes urbaines. Le contrôle des villes a été un enjeu militaire et politique très important. L’exemple le plus connu et le plus violent est celui de la lutte pour Sarajevo, matérialisé par le siège mis par les Serbes d’un centre-ville habité en majorité par des Musulmans. Ce siège a duré trois ans. Mais il n’est pas le seul. Durant le conflit de Croatie, il y eut le siège de Vukovar et celui de Dubrovnik et pendant la guerre de Bosnie, la bataille de Mostar entre Croates et Bosniaques.

En outre, dans certains cas, il n’y eut pas de conflit ouvert ou déclaré mais une sorte de préparation à d’éventuels affrontements futurs : certaines villes sont ou ont été des lignes de front telles Mitrovica au Kosovo et Tetovo en Macédoine.

Il s’agit de villes multiethniques, avec des quartiers ethniquement homogènes et des quartiers mixtes, et avec un centre-ville qui est toujours un enjeu de grande valeur. Ainsi à Mostar, ville principale de l’Herzégovine et à ce titre revendiquée à la fois par les Croates et par les Musulmans. Mostar est une ville qui de longue date était divisée en un centre historique et touristique de population musulmane et des quartiers de la rive occidentale de la Neretva, avec leur propre centre-ville de population croate. Les affrontements entre Croates et Musulmans, pour la maîtrise de la ville ont abouti à la destruction par l’artillerie d’une grande partie du centre et de son quartier ancien et du pont qui en était le symbole. Depuis, le pont aussi bien que les bâtiments du centre ancien ont été reconstruits. Mais de très vastes bâtiments de l'époque austro-hongroise, à finalité administrative ou militaire, restent détruits avec leurs façades béantes, et les ruraux ont afflué. Aujourd'hui, la ville est majoritairement croate, mais le centre historique est musulman ou si l'on préfère bosniaque. En outre, la population a totalement changé : on estime que 60 % de l'ancienne population est partie : les Serbes, entre autres, ont quitté la ville.

Sarajevo se place dans la même catégorie que Mostar. Elle était une ville multi-ethnique, avec une majorité relative de Musulmans (49,2 %), une forte minorité serbe (29,8 %), une population dite "yougoslave" qui témoignait des mélanges et en particulier des mariages mixtes (10,7 %). Les Croates ne représentaient que 6,6 %. Or le siège de trois ans et demi, les bombardements d'artillerie, les tirs de snipers et les violences diverses qui l'ont accompagné et qui aboutissent vraisemblablement à 10.000 morts, ont eu pour conséquence le départ de la quasi-totalité de la populaion serbe. On estime que 10.000 Serbes restent dans la ville, alors qu'on en comptait 157.000 au recensement de 1991. Sarajevo, dont on avait voulu faire un symbole d'une Bosnie multi-ethnique, est devenue très majoritairement musulmane (environ 85 %). Cette transformation est le résultat du départ des Serbes et de la disparition de la catégorie "yougoslave", mais surtout de l'afflux de musulmans venus des campagnes où ils ont été chassés par les opérations de purification ethnique ; les vieux Sarajéviens se plaignent, indépendamment de leur appartenance communautaire, de la disparition des civilités urbaines, due à l'afflux de ruraux mal dégrossis. La frontière entre entités laisse du côté de la Fédération [croato-bosniaque] la totalité du centre et la plus grande partie des faubourgs, sans compter l'aérodrome et la gare ferroviaire. Mais la ligne rase de près la ville laissant les faubourgs méridionaux tels que Lukavica ou Grlica du côté de la Republika Srpska. Même si les taxis ou voitures particulières franchissent sans encombre la ligne, les deux entités fonctionnent très largement de manière autonome. Les divers accords conclus entre les deux entités sous l'égide du Haut Représentant de l'ONU prévoient le retour des réfugiés dans leurs habitations antérieures. Dans les faits ces retours s'effectuent de façon limitée, parce que les habitations sont occupées et qu'on craint la discrimination en matière de logements, de travail, de santé, et souvent de façon provisoire, le temps de vendre ses biens.

En outre, Sarajevo est une étrange capitale. Elle est la capitale fédérale mais les affaires communes sont limitées au minimum : affaires étrangères, monnaie, transports internationaux. L'unification de la police pose de redoutables problèmes et les transports sont loin d'être coordonnés : par exemple les bus pour Belgrade partent de la partie serbe et d'elle seule. Le chemin de fer ne relie plus Sarajevo à Belgrade. Les liaisons avec Belgrade sont seulement aériennes.

D'autres villes n'ont heureusement pas eu à subir les bombardements. Mais la ségrégation ethnique est à l'oeuvre.

Mitrovica, au Kosovo est typique de cette situation [Bénédicte Tratnjek, "Le nettoyage ethnique à Mitrovica : interprétation géographique d'un double déplacement forcé", Bulletin de l'Association de géographes français, 2006-4]. Elle est située dans la vallée de l'Ibar, à la limite du Kosovo serbe au nord et du Kosovo albanais au sud. Sa population approcherait 80.000 habitants. La majorité de la population est albanaise et les Albanais dans leur majorité habitent le sud de la ville, au sud du coude de l'Ibar. Les Albanais seraient un peu plus de 60.000. Au nord et à l'ouest de l'Ibar s'étendent les quartiers serbes (20.000 personnes). La division n'exclut pas la présence d'un quartier serbe isolé au milieu des Albanais et inversement.

Un quartier albanais de quelques tours est inclus dans le quartier serbe du nord : la force d'interposition leur a construit une passerelle pour les désenclaver. Cette simple opération exprime l'état de tension entre les deux communautés. Les transports urbains sont assurés par deux compagnies différentes qui ne franchissent pas la limite. Cette limite n'a bien entendu aucun statut officiel [Bénédicte Tratnjek, "La répartition des communautés dans la ville de Mitrovica, reflet du déchirement ethnique dans le Kosovo actuel", L'ex-Yougoslavie, dix ans après Dayton, Paris, L'Harmattan, 2005]. Elle est symbolique des oppositions entre Serbes et Albanais au moment où le Kosovo vient de déclarer son indépendance. Elle traduit les conséquences de deux décennies de luttes qui ont culminé en 1998-1999 au moment où Milosevic a entrepris de vider le Kosovo de sa population albanaise.

A Tetovo, en Macédoine, la situation n'est pas loin de rappeler celle de Mitrovica [François Bourvic, "La ville de Tetovo (Macédoine), entre conflit ethnique et crise économique", L'ex-Yougoslavie, dix ans après Dayton, Paris, L'Harmattan, 2005]. Ici les tensions ethniques entre Albanais et Slaves macédoniens se sont en principe apaisés depuis les affrontements de 2001. Elles restent en fait fort vives. Là encore des signes paysagers qui disent les appartenances ethniques se sont de plus en plus marqués : slogans politiques, usage de l'alphabet cyrillique du côté macédonien, de l'alphabet latin du côté albanais, mais aussi manière différente de considérer l'extérieur : murets fermés autour des maisons albanaises, jardins ouverts du côté macédonien.

Mais ici (et sans doute ailleurs aussi !) la lutte ethnique se double d'une lutte économique : le centre de la ville, c'est-à-dire l'avenue Marsala Tita appartenait aux Macédoniens. Les Albanais sont en train d'en prendre le contrôle. Cette progression reflète d'abord la progression démographique, qui elle-même provient de leur natalité beaucoup plus élevée que celle des Macédoniens. Les Albanais sont 63 % dans la ville en 2002, alors qu'ils n'étaient que 59 % en 1994. La population macédonienne a même diminué en nombre absolu, à cause de l'émigration. Pourtant le taux de chômage est très élevé et les activités illégales, voire celles du crime organisé (contrebande, trafic d'armes et de drogue) constituent une importante source de revenus, mais contribuent aussi à donner à la ville une image détestable.

Devant cette permanence de divisions spatiales qui ne paraissent pas à la veille de s'effacer, on peut sans doute espérer qu'il s'agit d'une situation transitoire. Est-ce si sûr ?"



A noter que ce paragraphe est doté de nombreux encarts (sous forme de témoignages) et cartes des plus illustratifs quant à l'efficacité géographique de la guerre dans les espaces de vie et les mobilités urbaines. Un livre qui présente de nombreux aspects originaux et éclaire par la démarche géographique les enjeux actuels des Balkans !


Une thèse sur les transports populaires à Abidjan


La thèse d'Irène Koussi (soutenue en 2007 sous la direction de Christian Bouquet à l'Université Bordeaux 3), intitulée Régulations des transports populaires et recomposition du territoire urbain d'Abidjan, propose une réflexion sur un aspect particulier de la crise urbaine que connaît cette ville : quels sont les impacts sur l'organisation des transports de l'extension exponentielle de la ville ? Qui sont les acteurs de cette logistique urbaine ? Quelles sont les inégalités sociospatiales engendrées par des politiques officielles et des stratégies officieuses ? Quels sont les lieux des transports "informels" ? Pour répondre à toutes ces questions, cette thèse de géographie se découpe en 3 parties qui mettent en exergue les rivalités entre les acteurs (officiels et officieux) des transports, révélant ainsi un des aspects de la difficile gestion durable de l'extension urbaine à Abidjan :
  • Mutations spatiales, institutionnelles et transports collectifs à Abidjan
    1/ Extension et structure spatiale dans les problématiques des transports collectifs
    2/ La montée en puissance des transports populaires
    3/ Changements des principes gestionnaires
  • La réponse des transports populaires à la demande de service à Abidjan
    4/ Les acteurs des transports populaires
    5/ Les transports populaires : entre espace et territoire
    6/Le paradoxe des transports non conventionnels : popularisation versus exclusion
    des classes défavorisées
  • Transports populaires : réseaux d'approvisionnement et impacts sur les espaces
    7/ Les transports populaires dans la mondialisation
    8/ Impact des activités de transports populaires sur l’espace urbain


Présentation par l'auteur :
"A l’instar des autres métropoles subsahariennes, Abidjan traverse une crise multiforme. Elle se traduit, entre autres, par une croissance urbaine accélérée, par une réduction des emplois modernes et, par voie de conséquence, par un renforcement des activités de l’informel, le tout dans un contexte d’affaiblissement de l’Etat et de son administration. Comme tous les secteurs socio-économiques, celui des transports n’a pas été épargné par cette crise. L’extension spatiale rapide conjuguée à la pression démographique et les changements des principes gestionnaires ont influé sur le système de transport collectif. Ces facteurs ont entraîné l’essor du secteur privé populaire : woro-woro et gbaka. L’initiative privée pallie l’insuffisance d’Etat régulateur et a ouvert la porte à diverses pratiques illicites comme la corruption et le racket dans le secteur. Les transports populaires constituent un secteur pourvoyeur d’emplois. Leur dynamique a permis une certaine amélioration du transport urbain local. En revanche, elle pose un certain nombre de problèmes urbanistiques et gestionnaires. Les rues, les trottoirs et les carrefours sont détournés de leur fonction circulatoire au profit d’une émergence de gares spontanées. Les recettes générées constituent une manne financière pour les acteurs, l’Etat et les collectivités locales peu efficaces à réguler ces activités sur le territoire urbain".

Des sites et des blogs sur la ville


Sociologie urbaine :

Le site de Françoise Navez-Bouchanine, professeur de sociologie (décédée en 2008), est remarquable par le nombre d'articles mis en ligne (tous les articles sont présentés avec des résumés qui en présentent les principales problématiques). Spécialisée en sociologie urbaine, Françoise Navez-Bouchanine a particulièrement travaillé sur les villes du Maghreb (tout particulièrement les villes marocaines et la question des espaces publics et des bidonvilles dans ces mêmes villes), ainsi que sur la question des fragmentations, tout particulièrement sur les fragmentations urbaines.





Les Urbanités :

L'émission de radio "Les Urbanités" est une chronique quotidienne diffusée sur la Radio Suisse Romande (RSR) chaque matin à 07h35. Ses animateurs proposent un site très complet qui permet non seulement d'écouter les dernières émissions, mais qui met également à disposition des articles proposés par l'ensemble des chercheurs qui composent la rédaction des "Urbanités" ainsi que de certains invités. En plus de ces articles thématiques, on retrouve également un agenda qui présente les principaux événements scientifiques et de nombreuses expositions autour de la question de la ville (principalement en Suisse, mais également en France, en Allemagne, en Belgique...).




Urbablog :

Le site d'un professeur d'histoire-géographie consacré à l'étude de "la ville dans toutes ses dimensions et ses enjeux : sociaux, économiques, écologiques, morphologiques, culturels..." Le blog présente des analyses des principaux phénomènes urbains, de la périurbanisation aux fragmentations, des mobilités urbaines à la ville durable... De nombreux événements autour de la ville y sont présentés (notamment des expositions) et des analyses de paysages urbains sont faites à partir de photographies de l'auteur. L'accent est porté sur les villes européennes et nord-américaines, ainsi que les questions de transports urbains.

"La religion dans les armées"


Dans le cadre du séminaire "La défense et son environnement social" organisé par le Centre de Sciences Sociales de la Défense (C2SD), la prochaine séance du mardi 3 février 2009 sera consacrée à "la religion dans les armées", avec pour invitée Catherine Withol de Wenden (directrice de recherche au CNRS, chercheur au CERI, spécialiste des relations entre les migrations et le politique) qui reviendra sur les conclusions de l'étude Les militaires issus de l'immigration (sous la direction de Catherine Withol de Wenden et de Christophe Bertossi, collection Les documents du C2SD, n°78, 2ème semestre 2005 - Voir également la synthèse). De 12h30 à 14h00, Ecole militaire, Amphithéâtre Suffren, Paris.

mercredi 28 janvier 2009

La guerre, la ville et l'enfant-soldat


Toujours en référence à La guerre, la ville et le soldat de Jean-Louis Dufour, et dans le contexte de l'ouverture ce lundi 26 janvier 2009 du 1er procès pour crimes de guerre d'un milicien congolais, Thomas Lubanga, accusé d'enrôlement et de conscription d'enfants de moins de 15 ans, voici quelques pistes de lecture sur les impacts géographiques de la présence d'enfants-soldats dans les guerres urbaines. Début 2008, l'ONU estimait à 300.000 le nombre d'enfants-soldats dans le monde (la violence contre les enfants dans la guerre ne touche, bien évidemment pas seulement les enfants-soldats : tous les enfants sont victimes de la guerre, soit pour des violences qu'ils subissent, soit pour des violences que subissent, voire tuent leurs parents, et dans tous les cas ils subissent la destruction de l'économie, de l'organisation sociétale et de l'ordre étatique dans leur pays). Les enfants-soldats sont "utilisés" par les milices de plus de 40 pays (voir une liste des pays et des milices qui recrutent et/ou utilisent des enfants-soldats). Si l'Afrique est souvent associée à des images médiatiques d'enfants-soldats, ce n'est pas le seul continent touché par ce phénomène qui tend à se généraliser dans le cas des guerres civiles (voir la carte de l'UNICEF). Les conséquences individuelles de l'implication d'enfants-soldats dans les conflits sont avant tout d'ordre psychologique : les enfances sont détruites (voir le témoignage d'Ishmael Beah, orphelin recruté par une milice en Sierra Leone à 13 ans). Au niveau de la société, les conséquences dans l'évolution du conflit, mais aussi dans la période de reconstruction sont multiples et très souvent durables.



Les enfants-soldats dans les guerres civiles
De nombreux enfants se retrouvent orphelins, pauvres, désoeuvrés dans les zones de recrutement : plusieurs facteurs peuvent expliquer l'enrôlement des enfants dans des milices, et tout particulièrement la mort des parents laissant les enfants livrés à eux-mêmes (parfois les parents sont tués par la milice qui enrôle par la suite leur enfant), l'extrême pauvreté et des stratégies de survie (l'enfant est une bouche à nourrir, mais il peut aussi être "cédé" en échange de la protection d'une milice). Les enfants peuvent également être kidnappés contre leur gré et celui de leur parent par la milice dominante dans une région. Les lieux de cet enrôlement sont généralement les zones les plus pauvres et les plus violentes d'un pays en guerre, mais également les routes de l'exil où les populations sont vulnérabilisées (départ dans la précipitation, pas de protection, pas ou peu d'argent...). Les conflits engendrent le déplacement et l'abandon (volontaire ou non) de milliers d'enfants, qui deviennent les 1ères cibles du recrutement des milices, ainsi que celles des trafiquants (pour l'exploitation des enfants en tant que main-d'oeuvre ou en tant qu'esclaves sexuels). Il arrive même que les mùilices recrutent dans les camps de réfugiés, tout comme les trafiquants. Les lieux de l'enrôlement sont donc très diversifiés et correspondent à toutes les zones "chaotiques", dans lesquelles la protection d'un acteur étatique ou international n'est plus ou pas assez assurée.

Les enfants sont "pratiques" dans la guerre : économes (pas de salaires, peu de nourriture), manipulables (drogués, déconnectés des structures de l'éducation), efficaces (force physique, inconscience enfantine) et "redevables" (dénués de toute autre sortie de secours). Les enfants-soldats sont avant tout des armes pour les milices : ils permettent d'accroître le nombre de combattants tout en ne disposant pas du statut de combattants "dignes de valeur" (les miliciens les envoient, par exemple, "tester" des champs de mines). Les enfants-soldats se retrouvent donc enfermés dans la milice à plusieurs titres : enfermés parce qu'ils ne peuvent que difficilement échapper à la structure hiérarchique et au contrôle des groupes armés qui les ont enrôlé ; enfermés du fait des désastres psychologiques que provoquent leur immersion dans un monde de violence extrême, et ce malgré leur avis ; enfermés spatialement dans la mesure où ils ne peuvent échapper aux lieux de la milice (enfermement dans le territoire milicien, sauf en cas d'action où ils se déplacent seulement dans le sillon des miliciens qui les emmènent dans les zones de combats et les ramènent ensuite dans le territoire milicien : leur mobilité est donc contrainte aux objectifs de la milice sans aucune liberté).

La question de la réinsertion des enfants-soldats dans la vie "normale" à la fin des conflits est souvent abordée comme un des plus difficiles défis de l'après-guerre. Elle pose bien évidemment le problème des impacts psychologiques sur toute une génération (la violence générée par la guerre affecte bien évidemment tous les enfants qu'ils aient été enrôlés ou non par une milice !). Dans le cas des enfants-soldats, de multiples questions se posent : ceux-ci ont été coupés de leur famille, beaucoup se retrouvent orphelins. Il s'agit d'abord de savoir où ces enfants vont dormir une fois démobilisés. A cette question, renvoie une multitude d'autres interrogations : quelle place dans la société ? Quelle éducation scolaire pour ces enfants dans un pays dont les structures de formation sont bouleversées, voire anéanties par la guerre ? L'exemple de la démobilisation des enfants-soldats en Afghanistan est éloquent des défis qui se posent, ainsi que de la question des acteurs de cette réinsertion (ONU, ONG, Etat local...). Quels lieux, quelles structures, quelle place dans la société, quels acteurs légitimes pour agir sur cette situation... ?




Les enfants-soldats au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa : quelques clés pour comprendre

En 2003, Amnesty International estimait à 150.000 le nombre de soldats à démobiliser en République démocratique du Congo suite aux guerres miliciennes, dont 30.000 enfants. A cette même date, Amnesty International constate qu'au moins 11.000 enfants n'ont pas été démobilisés et sont toujours sous le contrôle des milices. Au contraire, on assiste ces derniers temps à une recrudescence de l'enrôlement d'enfants dans les milices. Dans ce contexte, de nombreuses familles ont été destructurées : les enfants se sont retrouvés orphelins ou abandonnés, ou ont perdu leurs parents sur les voies de l'exil. Les milices ont acheté ou enlevé un bon nombre d'enfants. Le procès de Thomas Lubanga pour crimes de guerre fait état de l'implication illégale d'enfants dans sa milice (selon le procureur Luis Moreno-Ocampo, 30 % des Forces patriotiques pour la Libération du Congo - FPLC -, la milice de Lubanga, étaient des "kadogo", un mot swahili signifiant "les petits"). Néanmoins, la situation en RDC est toujours aussi instable et la présence des milices est toujours aussi forte. Entre 2006 et 2008, le chef rebelle Laurent Nkunda prend la tête d'une milice qui s'oppose militairement aux forces nationales. Pendant ce temps, de nouvelles milices voient le jour dans l'Est du pays, et enrôlent elles aussi des enfants. Si en janvier 2008, un accord de paix est signé, on assiste depuis août 2008 à la reprise des combats dans l'Est du pays, dans le Nord-Kivu, région frontalière au Rwanda. Alors que les enfants-soldats enrôlés pendant les guerres miliciennes des années 1990 ne sont toujours pas tous réintroduits dans la société, de nouveaux enfants sont les victimes des milices.

Dans les pays voisins, les enfants sont également impliqués dans les conflits. La République du Congo (Congo-Brazzaville) a été déchirée par 3 guerres successives : 1993-1994, été 1997, fin 1998-1999 qui ont opposé des milices à l'armée nationale. L'année 1991 marque une rupture dans l'histoire du pays avec la fin de 25 années de monopartisme. La capitale Brazzaville va rapidement devenir le foyer de luttes de pouvoir entre l'armée nationale et les milices des 3 principaux partis d'opposition (voir notamment Elisabeth Dorier-Apprill, "Un cycle de guerres urbaines à Brazzaville", Annales de la Recherche Urbaine, n° 91, décembre 2001, pp. 101-110). Les violences vont se diffuser depuis la capitale vers des zones plus éloignées, embrasant l'ensemble du pays, bien que Brazzaville reste le principal enjeu stratégique et symbolique : la remise en cause de la souveraineté étatique se traduit par des guerres miliciennes luttant pour l'appropriation de territoires urbains, puis les guerres vont se propager dans les régions du Sud du pays. Les civils ont été les victimes de violences et de pillages systématiques. Les conséquences géographiques sont multiples : la dégradation des infrastructures de transport, la déstructuration de l'activité rurale dans le Sud du pays (et de ce fait des systèmes d'approvisionnement vivrier de la capitale Brazzaville), la forte croissance de la ville Pointe-Noire épargnée par les conflits (avec un afflux massif de déplacés qui pose le problème de la paupérisation et de la bidonvilisation des quartiers périphériques), de nombreuses destructions et la remise en cause de la légitimité étatique dans des quartiers de Brazzaville... (d'après la conférence de Robert Edmond Ziavoula, "Les guerres contre les civils au Congo : quels impacts géographiques ?", FIG 2008).



A signaler :



Des articles scientifiques à consulter :

Une exposition sur la guerre


Heure Exquise et l'Espace culture de l'Université Lille I organisent une exposition sur "L'énigme de la guerre" du 26 janvier au 27 mars 2009 à Lille qui réunit les travaux de Marie Dorigny (photographies sur l'Irak en 2005), Jérôme Sessini (photographies), Akram Zaatari (vidéos sur le Liban d'après-guerre), Mihaël Milunovic (sculptures) et Philippe Schuller (photographies sur la Première Guerre mondiale et l'imaginaire collectif). L'exposition est l'occasion de questionner "la guerre : représentations & engagement artistique", autour de conférences-débats les mercredi 28 et jeudi 29 janvier 2009. De même, le cycle "Autour de la guerre" donnera l'occasion de confronter différentes formes d'art sur la guerre, avec la projection du documentaire Irak, l'agonie d'une nation de Paul Moreira le lundi 2 février 2009 à 19h00, le spectacle Transmission (mêlant théâtre, danse contemporaine et vidéos) le lundi 9 février 2009 à 19h00 et le concert La guerre en chansons le jeudi 19 février 2009 à 19h00. Toutes ces manifestations ont lieu à l'Espace culture de l'Université de Lille I.


Présentation de l'exposition :
"Comment comprendre, en ces années de paix sur notre territoire, l’énigme de la guerre. Comment aborder ce monstrueux déchaînement d’une violence sans limite, d’une flambée inouïe du feu, du sang, de la mort ?

Nous déclinons toutes les sources historiques de cet état de guerre permanent qui traverse les millénaires. Nous voyons les images, nous entendons les témoignages de ceux qui ont traversé l’apocalypse des conflits, mais l’énigme demeure et le mystère s’épaissit.

Selon Karl Von Clausewitz, « la guerre est la simple continuation de la politique par d’autres moyens car l’intention politique est la fin, tandis que la guerre est le moyen ». Nous avons analysé toutes les définitions. La guerre est une lutte armée entre deux communautés humaines, avec une durée déterminée, une pluralité d’événements et une fin. Nous avons appris que le XXème siècle fut une intense époque de guerre avec ses millions de morts mais le lancement de la bombe atomique le 6 mai 1945 sur Hiroshima, cet équilibre de la terreur, nous a valu en Europe Occidentale soixante années de paix. Nous comprenons aussi que cette paix relative est fragile et que les conflits locaux en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Balkans démontrent à quel point les frontières entre guerre et paix deviennent floues alors que se multiplient les guerres civiles, les guerres de religion, de libération et que les métaphores guerrières fleurissent. Guerre commerciale, guerre économique, guerre des médias.

Plus les explications rationnelles se multiplient et se superposent, moins elles éclairent le ressort secret de cette folie du meurtre légal, du sang versé, de la mort donnée. Alors, sans aucun doute, il faut changer notre regard, déterminer le point sensible, le détail singulier qui engage l’ensemble du phénomène de la guerre. Appeler le témoignage du photographe, la parole du poète, l’œil critique de l’artiste pour tenter de comprendre, au plus, le mouvement de la souffrance humaine, la vision plus universelle de l’innommable, l’incompréhensible terreur inscrite dans les visages et les corps en temps de guerre.

Cette exposition est un parcours sensible entre guerres, plusieurs conflits majeurs dans différents temps. Un parcours dans l’actualité, à travers la confrontation d’images mais aussi confrontation des regards sur la guerre. Marie Dorigny, photographe, présente la longue et universelle cohorte des femmes et enfants victimes d’une guerre, victimes éternelles de toutes les guerres, à travers le monde, alors que Jérôme Sessini oppose la brutale et violente vision des hommes qui mènent la guerre, le monde militaire dans sa posture contemporaine, sa technologie dévastatrice, à travers un reportage effectué en Irak en 2005.

Akram Zaatari, qui vit et travaille à Beyrouth, explore le Liban d’après-guerre. Il assure, à travers la vidéo Tabiaah Samitah « Nature morte », totalement dépourvue de parole, la ponctuation et la liaison de ce face-à-face mortel. Deux hommes – l’un des deux, âgé et rabougri, l’autre, jeune et au visage enfantin – sont assis dans la lumière bleue de l’aube. L’un assemble des explosifs, l’autre raccommode le revers d’une veste. Des coupures de courant ralentissent le travail des hommes. Tel un père qui aiderait son enfant, le vieil homme déplace une lampe à gaz de façon poignante pour que le jeune homme puisse voir plus clair. Akram Zaatari éveille l’émotion tout en démantelant les stéréotypes de la résistance, de la terreur et de la violence.

Mihaël Milunovic, jeune artiste d'origine serbe, présentera la sculpture qui fera le lien entre ces diverses visions, un fusil mitrailleur en grandeur réelle, plus vrai que nature.

En contrepoint, les traces du passé de la grande guerre en Europe. Philippe Schuller donne à lire le socle imaginaire de cette histoire des guerres. Les traces, la mémoire d’un conflit majeur du siècle passé, 1914-1918, le cycle de la mémoire, l’empreinte inscrite des générations qui hésitent entre guerre et paix, vengeance, oubli. Morceaux de béton, vagues graffitis, bouts de métal rouillés et trous dans le sol ? Vestiges de ces sanglantes passions et de ces horreurs qui laissent à la vie le soin de reprendre le dessus.

Nous ne pénétrerons peut-être jamais vraiment l’énigme monstrueuse de la guerre. Mais du moins, pourrons-nous, par cette conjugaison des visions, la force des propositions artistiques, approcher davantage du cœur, du nœud de cette énigme millénaire."

Des colloques en perspective


Paysannerie et conflit armé en Colombie
Un Café géo qui aura lieu à Toulouse au Papagayo (place Anatole France, métro Capitole, 18h30-20h30) ce mercredi 28 janvier 2009 avec pour invité Jaime Forero (géographe, Université de Bogota).


L'existence d'une réserve pour l'armée française : débat et réalités (XIXe siècle -début du XXe siècle)
Une conférence-débat en présence de Annie Crépin (maître de conférences en histoire), organisée dans le cadre de la Commission d'histoire des réserves et des militaires non professionnels du Centre d'études d'histoire de la Défense (CEHD) le jeudi 29 janvier 2009 à 17 h 15, au château de Vincennes (pavillon de la Reine).


L'autre plus vieux métier du monde : le renseignement
Un Café géopolitique au Snax Kfé à Paris (métro Rambuteau), le lundi 2 février 2009 à 19h00.


Réflexions sur les enjeux du commandement dans les opérations aériennes : l’exemple des opérations américaines au-dessus du Nord-Vietnam, 1964-1973
Une conférence-débat avec pour invité Benoist Bihan (doctorant en histoire, Université de Poitiers) dans le cadre de la Commission Nouvelle histoire bataille du Centre d'études d'histoire de la Défense, le mardi 3 février 2009 de 17h00 à 19h00 au château de Vincennes (pavillon du Roi).


Espace, territoire et ville
Une conférence dans le cadre du cycle "L'espace" organisé par l'Université de Lille, avec pour invité Alain Cambier (docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires), le mardi 3 février 2009 à 18h30 à Lille.


Confronter la peur
Une conférence avec Sophie Body-Gendrot (professeur de géographie, Université Paris-Sorbonne), dans le cadre du cycle « Emprises de la violence. Regards sur la civilisation contemporaine » organisé par l'association Échange et diffusion des savoirs, le jeudi 5 février 2009 à 18h45 à Marseille (hôtel du département, salle des séances publiques).


Le terrorisme aujourd'hui

Une conférence dans le cadre du cycle "La guerre" organisé par l'Université de Lille, avec pour invité François-Bernard Huyghe (expert associé à l'Institut de Relations Internationales Stratégiques - IRIS) et pour animateur Jean-François Rey (professeur de philosophie, IUFM de Lille), le mardi 10 février 2009 à 18h30 à Lille.

vendredi 23 janvier 2009

La guerre, la ville et la santé


Comprendre la géographie de la santé dans les villes en guerre permet de mettre en exergue des inégalités sociospatiales qui relèvent à la fois du temps de la montée des tensions (avec, par exemple, un accès inégal aux soins entre les différentes classes sociales, les différents quartiers, les différentes communautés...), du temps de la guerre (qui impose de fortes contraintes en termes de mobilités, d'approvisionnements en médicaments et en électricité...), et du temps de la reconstruction (où des inégalités sociospatiales peuvent se renforcer ou se créer). "L'explication de ces disparités passe par la confrontation de la distribution et des combinaisons spatiales, des facteurs de risques d'un indicateur de santé à la géographie de cet indicateur" (Gérard Salem, 2002, "Peuplement, population et santé : une inégale répartition", dans Jean-Paul Charvet et Michel Sivignon, 2002, Gégraphie humaine. Questions et enjeux du monde contemporain, Armand Colin, collection U, Paris, p. 83). Evidemment les guerres ont des impacts conséquents en termes de mortalité. Mais, le cas particulier d'un environnement violent montre également l'exacerbation des tensions autour de l'accès aux soins dans un contexte de prolifération des maladies et des blessures.



Les impacts directs des guerres sur la santé

La forte augmentation du taux de mortalité est un impact direct de la violence collective exercée pendant une guerre. Mais on voit également, lors de la guerre, l'augmentation des maladies "évitables" du fait du manque de médicaments, des difficultés à se déplacer dans la ville en guerre, et de la destruction partielle ou totale des infrastructures sanitaires. Pour exemples, "à Sarajevo, les naissances de bébés prématurés ont doublé [le temps de la guerre de Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995] et, en 1993, les poids moyens à la naissance avaient chuté de 20 %. [...] Pendant les combats de Bosnie-Herzégovine, en 1994, moins de 35 % des enfants étaient vaccinés, contre 95 % avant le début des hostilités. En Iraq, la couverture vaccinale a considérablement diminué après la guerre du Golfe de 1991 et sous le coup des sanctions économiques et politiques prises par la suite. [...] En 1985-1986, au Nicaragua, une épidémie de rougeole a été attribuée dans une large mesure au fait que les services de santé n'étaient plus vraiment à même de vacciner la population à risque dans les zones touchées par le conflit. [...] Pendant l'exode du Rwanda, en 1994, ce sont des maladies liées à l'eau, comme le choléra et la dysenterie à Shigella spp, qui ont pris des proportions épidémiques et tué en un mois de 6 % à 10 % des réfugiés qui arrivaient au Zaïre (République démocratique du Congo actuelle). Le taux brut de mortalité de 20 à 35 pour 10.000 habitants par jour était deux à trois fois supérieur à celui enregistré auparavant dans les populations réfugiées" (Etienne G. Krug, Linda L. Dahlberg, James A. Mercy, Anthony Zwi et Rafael Lozano-Ascencio (dir.), 2002, Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la santé, Genève, p. 248). La forte diminution de la vaccination, les problèmes d'approvisionnements des centres médicaux, les contraintes de mobilité pour les populations dans les zones de combat (pour exemple, le siège de Sarajevo empêchait les habitants de se rendre à leur guise dans les hôpitaux sans prendre le risque de se retrouver sous les tirs de l'armée serbe positionnée sur les hauteurs de la ville, encerclant ainsi Sarajevo), les déplacements de populations qui fuient les zones de combat (et deviennent souvent des vecteurs des maladies transmissibles) et le manque chronique de nourriture (que ce soit en quantité ou en qualité) sont autant de facteurs explicatifs : il serait donc très restreint de limiter la question de la santé à la seule question des morts et blessés par les combats.


L'Organisation mondiale de la santé propose une typologie des impacts directs des conflits sur la santé (Rapport mondial sur la violence et la santé, op. cit., p. 247) autour de 3 impacts et de leurs facteurs :

MORTALITE ACCRUE :
  • décès dues à des causes externes, principalement liées à des armes
  • décès liées à des maladies infectieuses (comme la rougeole, la poliomyélite, le tétanos et le paludisme)
  • décès dus à des maladies non transmissibles, ainsi que des décès par ailleurs évitables avec des soins médicaux (y compris l'asthme, le diabète et les interventions chirurgicales d'urgence)


MORBIDITE ACCRUE :

  • blessures dues à des causes externes, comme celles infligées par des armes, des mutilations, des mines antipersonnel, des brûlures et des empoisonnements
  • morbidité associée à des causes externes, y compris la violence sexuelle
  • maladies infectieuses 1/ liées à l'eau (comme le choléra, la fièvre typhoïde, la dysenterie due à la Shigella spp) 2/ à transmission vectorielle (comme le paludisme et l'onchocercose) 3/ autres maladies transmissibles (comme la tuberculose, les infections respiratoires aiguës, l'infection à HIV et d'autres maladies sexuellement transmissibles)
  • santé génésique 1/ un plus grand nombre de mortinaissances et de naissances prématurées, plus de cas de faible poids à la naissance, plus de complications pendant les accouchements 2/ incidence génétique à plus long terme de l'exposition à des produits chimiques et à des radiations
  • nutrition : malnutrition chronique et aiguë et divers troubles liés à des carences
  • santé mentale : angoisse, dépression, état de stress post-traumatique, comportement suicidaire


INCAPACITE ACCRUE :

  • physique
  • psychologique
  • sociale



Mobilités et santé dans les villes-cibles

L'étude des mobilités des populations est au coeur de l'analyse de la géographie de la santé dans des environnements violents. Dans la ville-cible, les mobilités sont restreintes au minimum : les populations sont contraintes à l'enfermement dans la maison pour éviter les tirs, et dans le quartier-territoire pour éviter les représailles de la milice ou de la force armée de l'autre communauté. Difficile dans ces conditions de se rendre dans des centres médicaux, d'autant plus que ces derniers se dégradent et sont de moins en moins nombreux à mesure que la guerre s'éternise. Cette situation provoque un accroissement des inégalités sociospatiales dans la ville entre les populations vivant dans des quartiers possédant leurs propres services de santé et les populations enfermées dans des quartiers dépourvus ou mal pourvus de centres de soin. Dans ces quartiers, la médecine "illégale" se développe et des habitants s'improvisent médecins, ce qui accroît les risques de complication, même des maladies les plus bégnines. L'enfermement dans les quartiers-territoires pose également la question de la rapidité des secours à intervenir dans les quartiers les plus éloignés et de la rapidité des habitants à se rendre auprès des personnels soignants (non pas tant en distance, mais avant tout en termes de temps). De plus, à l'intérieur même des quartiers-territoires, existe une forte disparité entre les habitants. D'une part, les populations se retrouvant en situation de minorité dans le quartier communautaire subissent de fortes discriminations dans l'accès aux soins. D'autre part, la rareté des médicaments et la dégradation des services médicaux (notamment en termes de capacité d'accueil) expliquent l'inflation des coûts des soins médicaux, ce qui accroît une inégalité sociale entre les classes sociales. Enfin, il existe une forte concurrence entre les belligérants quant à l'accès aux soins : il s'agit principalement de bloquer les accès du quartier "ennemi", d'en empêcher l'approvisionnement en nourriture et en médicaments, ce qui renforce l'enfermement des quartiers-territoires et la dégradation des conditions sanitaires. La densité de population pose des problèmes sanitaires majeurs : tout d'abord, nourrir les populations du quartier-territoire se révèle complexe dans une ville où la mobilité est fortement restreinte. De plus, l'évacuation des déchets et des eaux usagées se dégradent fortement, ce qui rend insalubres de nombreuses zones habitées. Enfin, la question de l'approvisionnement en eau potable, celle du chauffage dans les habitations (bois de chauffage, électricité, gaz naturel...) et celle de l'habitat (entre destructions, squatts, constructions avec des matériaux de récupérations...) sont autant de difficultés quotidiennes pour les populations les plus vulnérables (soit par leur condition sociale, soit par leur localisation dans un quartier marginalisé et enfermé, soit par leur situation de minorités...) qui accentuent les risques sanitaires à l'intérieur de la ville-cible. D'un point de vue sanitaire, la ville-cible se vulnérabilise à mesure qu'elle se fragmente et qu'elle se paupérise.



Mobilité et santé dans les villes-refuges

La problématique des mobilités se pose également dans le cas des villes-refuges, affectées indirectement par les guerres, et tout particulièrement par l'arrivée massive de déplacés en provenance des zones de combats (voir l'exemple d'Abéché au Tchad). "Les anciens déplacés ou réfugiés d'origine paysanne installés en ville sont le groupe le plus vulnérable et le plus "invible". Souvent peu qualifiés, sans formation adaptée à la ville, réticents à exercer des activités non agricoles car jugées dégradantes, ils peinent le plus à s'intégrer dans les villes" (François Grünewald (dir.), Villes en guerres, guerres en ville : acteurs humanitaires et pratiques urbaines. Mali, Guinée, Angola, rapport de synthèse, juin 2004, Urgence Réhabilitation Développement - groupe URD, p. 4). La vulnérabilité face aux conditions sanitaires pour les populations déplacées ou réfugiées s'exprime à divers égards : tout d'abord, se pose la question du logement. Deux types de situation se distinguent : d'une part les populations arrivant dans la ville elle-même et d'autre part les populations installées dans des camps de réfugiés. Les déplacements de ces populations permettent la diffusion de multiples maladies transmissibles (paludisme, sida...). Les épidémies se diffusent d'autant plus que sur la route de l'exil, ces populations n'ont plus accès aux médicaments et aux soins. Qu'elles aient attrapé ces maladies dans leur lieu d'origine ou qu'elles les contractent dans les lieux-étapes de leur migration, ces populations deviennent des vecteurs de diffusion de l'épidémie à la fois dans les lieux-étapes suivants et dans leur lieu d'accueil. Les populations s'installant dans la ville-refuge elle-même sont également vulnérabilisées dans leur lieu d'accueil. En effet, ces populations se logent dans des villes qui ont du mal à gérer un afflux massif de déplacés/réfugiés : leurs installations sont souvent sommaires (matériaux de récupération) et la "bidonvilisation" des périphéries s'accroît. Les quartiers où s'installent ces populations font face à d'importants problèmes sanitaires, du fait de "l'entassement" des populations, depuis les problèmes d'approvisionnement en nourriture jusqu'aux problèmes d'évacuation des eaux usagées et des déchets, en passant par l'insalubrité des zones d'installation. En effet, ces populations s'installent dans les "espaces vides" de la ville-refuge, c'est-à-dire dans les zones insalubres non urbanisées jusque-là. De plus, ces populations bénéficient moins facilement de l'aide humanitaire que les populations des camps de réfugiés dans la mesure où elles sont moins visibles et peu identifiées. Ces phénomènes affectent directement la ville-refuge avec la paupérisation de quartiers entiers, et la dégradation des conditions sanitaires. De plus, les services de santé ne peuvent faire face à l'afflux de ces populations, et de ce fait le nombre de médecins par habitant dans la ville diminue fortement. Les inégalités sociospatiales en termes d'accès aux soins sont donc fortement renforcées.



Dégradation de l'environnement et santé dans les villes en guerre

Le cas du Kosovo (voir notamment le chapitre "Guerre "high tech", désastre humanitaire et environnement" écrit par Luc Mampaey, dans Bernard Adam (dir.), 1999, La guerre du Kosovo. Eclairages et commentaires, GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la sécurité et la paix) - Editions Complexe, Bruxelles, pp. 125-138, notamment sur le débat autour de l'utilisation des munitions à uranium appauvri) a été particulièrement illustratif d'une préoccupation de plus en plus accrue pour les questions d'impacts environnementaux provoqués par les guerres. Ces questions sont diverses (voir l'article de Pekka Haavisto, "L'impact de la guerre sur l'environnement" dans Les Chroniques de l'ONU, volume XXXVII, n°1, 2000) : elles concernent tout d'abord les impacts de l'utilisation de produits chimiques dans les munitions, et les conséquences pour les populations locales exposées durablement à ces produits. La question du ciblage dans la guerre urbaine se pose également : les "dégâts collatéraux" affectent parfois des lieux à haut risque (telles que des usines). Mais de telles destructions peuvent également être l'effet d'une stratégie militaire puisque ces mêmes usines sont des centres névralgiques de l'économie d'un pays. De plus, la guerre provoque ou accentue la dégradation de l'appareil industriel soit du fait des destructions, soit par le manque d'investissements financiers. C'est le cas du complexe industrialo-minier de Trepca dans la ville de Mitrovica au Kosovo, complètement obsolète, fermé par décision de la communauté internationale à la fin de la guerre, car menaçant la santé publique (pollution accrue des eaux de la rivière Ibar, pollution de l'air...). Si cette fermeture a un effet positif quant à son impact direct sur la santé, les effets indirects, eux, ne le sont pas : la fermeture a provoqué une très forte montée du chômage dans la ville de Mitrovica dont l'économie -déjà fragile avant la guerre - reposait en très grande partie sur le fonctionnement de ce complexe industriel, d'où une paupérisation accrue dans l'ensemble de la ville. Et, de ce fait, une dégradation des conditions sanitaires et de l'accès aux soins par manque de moyens financiers, que ce soit au niveau des individus ou des acteurs de la gouvernance urbaine. L'interaction entre guerre, santé et environnement est donc complexe, puisqu'une décision positive sur la santé peut avoir des conséquences négatives, y compris sur la santé !



La reconstruction et l'accès aux soins : vers des nouvelles inégalités ?

La question de la dégradation des conditions sanitaires et des équipements des services de santé se pose dans l'immédiat après-guerre, dans un contexte de tensions entre les différentes communautés et les différentes classes sociales. Il s'agit de faire face à la fois à l'insalubrité de certains quartiers, à la remise en fonctionnement des systèmes de santé, à la reconstruction des équipements, à l'approvisionnement en médicaments et matériels hospitaliers... Le coût financier de ces objectifs est très conséquent, alors même que l'économie de la ville s'est effondrée avec la guerre et que les autres enjeux de la reconstruction sont très nombreux. Le problème se pose principalement autour de la localisation des services de soin réapprovisionnés et reconstruits : alors que les centres-villes bénéficient, en général, d'un "retour à la normale" rapide, les préiphéries ne sont pas, le plus souvent, des zones où la restauration des services de santé est prioritaire, alors même que ces préiphéries sont souvent les zones où l'insalubrité est la plus grande et de ce fait les populations y sont le plus vulnérables face aux maladies. Le cas de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth et des problèmes persistants dans la banlieue sud de la ville est particulièrement illustratif d'une reconstruction à "deux vitesses" (voir, à ce propos, les travaux d'Eric Verdeil et le mémoire de géographie en ligne Beyrouth : reconstruire la ville, reconstruire la vie ?). Les disparités sociospatiales en termes de santé peuvent donc entraîner de nombreuses disparités, et de ce fait de nouvelles tensions dans des villes de l'après-guerre.


Le blog "Carnets de géographie sociale et politique"


Complément fort utile à son site "Géographie sociale et politique" qui s'intéresse tout particulièrement aux frontières "chaudes" (étude des frontières Liban/Israël, Palestine/Israël, Mexique/Etats-Unis, et Maroc/Espagne), Fabien Guillot, doctorant en géographie, inaugure ce mois-ci un nouveau blog intitulé "Carnets de géographie sociale et politique" qui se donne pour objectif d' "essayer de suivre et commenter l’actualité internationale à partir d’une approche de géographie sociale et politique".

Le site
donne des approfondissements épistémologiques et conceptuels sur la branche qu'est la géographie sociale, ainsi que sur la notion de frontière. Les études de cas proposées y sont particulièrement développées et permettent de comprendre l'originalité et l'efficacité du regard géographique pour comprendre les enjeux des frontières conflictuelles. "Tracer une frontière est un acte géopolitique par excellence puisqu’il s’agit de délimiter des aires d’exercice de la souveraineté, d’inscrire le politique dans l’espace" (Michel Foucher ("Frontières à retracer : un point de vue de géopoliticien", Frontières et limites, acte de séminaire, Centre Georges Pompidou, Paris, 1991, p. 69). Fabien Guillot présente l'historique des frontières, les enjeux de la conflictualité qui les entourent et les impacts spatiaux qui en découlent entre ouverture et fermeture. De plus, le site est doté d'une remarquable cartothèque dans laquelle on retrouve des productions cartographiques de l'auteur.

Le blog
, quant à lui, propose une lecture géographique de l'actualité nationale et internationale. Le Proche et le Moyen-Orient ainsi que les Etats-Unis sont des sujets de prédilection pour Fabien Guillot qui a fait de nombreuses recherches sur ces terrains. Autant dire combien son blog se place au coeur de l'actualité de ces derniers temps !

jeudi 22 janvier 2009

La guerre, la ville et le mur


En référence à l'ouvrage La guerre, la ville et le soldat de Jean-Louis Dufour (véritable référence pour ce blog !), ce billet se propose de poser quelques réflexions sur la place des murs dans les villes dans la guerre et après la guerre. Un sujet pas si classique qu'il n'y paraît, en tout cas le plus souvent abordé sous le seul angle de l'urbanisme et de la sécurisation de la ville. Pourtant, les problématiques sur le mur dans la ville en guerre ne pose pas seulement la question des nouveaux murs, mais également celle des destructions de l'espace de vie et des inégalités spatiales dans le cadre de la reconstruction ; ainsi que celle des murs déjà existants comme objet d'une appropriation spatiale et symbolique.



Les murs : un urbanisme de guerre ou un urbanisme de paix ?

La tentation des murs semble être de plus en plus marquée dans la résolution des conflits. Deux logiques s'affrontent : le mur dans la guerre et le mur pour la paix. Dans les 2 cas, le mur est construit pour séparer des populations qui s'affrontent. Mais l'objectif est différent : les murs construits par les belligérants dans la guerre oeuvrent pour une séparation continue dans le temps, pour une différenciation spatiale matérialisée et pour le rejet volontaire de l'Autre. Les murs construits par les acteurs du rétablissement de la paix (que ce soient des acteurs locaux ou extérieurs) ont un autre objectif : séparer n'est pas l'objectif mais le moyen, il s'agit ici de sécuriser les territoires urbains. La matérialisation de la mise à distance entre les communautés est conçue comme temporaire, comme une étape dans le processus de paix. La question de la durabilité prévue par les acteurs différencie ces 2 types de construction, bien que la finalité - la séparation - soit la même. La séparation des communautés par des murs amène la ville à se fragmenter et cloisonne des territoires-quartiers. La mobilité des habitants se retrouve particulièrement réduite par l'érection de ces barrières physiques, puisque passer dans le territoire de "l'Autre" impose de franchir un seuil matérialisé. "Car l’idée de mur inclut sans exception un double sens : l’entrée et la sortie, ce qui revient au contrôle « absolu » de l’espace du soi" (Pierre Gentelle, "Le Mur, marque essentielle de l'Homme sur la Terre", Cafés géo, rubrique Les lettres de Cassandre, 20 janvier 2009). Les espaces de vie se renferment de plus en plus sur le territoire communautaire à mesure que le mur s'impose dans le paysage urbain, au point de rendre difficile l'échange entre les populations, et de ce fait leur réconciliation.

Les exemples de murs construits dans les villes en guerre ou dans les villes de l'immédiat après-guerre sont très nombreux et révèlent ces 2 types de stratégie : murs dans la guerre et murs pour la paix. A Belfast, les "murs de la paix" ont été érigés pour se protéger de "l'Autre" dès la fin des années 1960. "Les murs de la paix apparaissent en août 1969, date à laquelle la Royal Ulster Constabulary (police) perd le contrôle de la sécurité en Irlande du Nord. L’armée est envoyée dans les rues de Belfast pour protéger les catholiques d’attaques protestantes. Pour y parvenir, ils construisent des murs dans certains quartiers. Ils sont la première manifestation matérielle d’une division de la société qui prend ses racines dans l’histoire nord-irlandaise" (Estelle Epinoux, 2001, "Les murs de la paix en Irlande du Nord", Guerres mondiales et conflits contemporains, n°201, 2001-1, p. 23-33). Pourquoi parle-t-on de "murs pour la paix" dans le cas de Belfast ? (A ce propos, l'article de Florine Ballif, docteur en géographie, "Belfast : vers un urbanisme de paix ? Les recompositions spatiales au sortir de la guerre civile", Annales de la recherche urbaine, n°91, décembre 2001, dossier "Villes et guerres", pp. 53-60 ; ainsi que sa thèse : Les peacelines de Belfast. Du maintien de l'ordre à l'aménagement urbain (1965-2002) soutenue en 2006). Parce que ces murs ont été construits dans le but de pacifier la ville de Belfast : séparer les communautés pour rétablir la sécurité dans la ville. De la ligne verte à Nicosie aux barrières de sécurité à Bagdad (voir à ce propos le blog de Stéphane Taillat, doctorant travaillant sur la contre-insurrection en Irak), la guerre et l'immédiat apr-sguerre sont de plus en plus marqués par la construction de murs comme "solution" politique, soit pensée par les belligérants pour marquer leur appropriation spatiale sur un quartier, soit par les acteurs de la pacification comme moyen de sécurisation de la ville. Gilles Fumey a montré combien ces murs n'étaient que temporaires : "les frontières étanches n'ont jamais existé"("A bas les murs !", Cafés géo, 4 février 2008). Néanmoins, ces murs, une fois détruits, marquent les esprits, ont reformaté les pratiques spatiales des habitants, accentué la peur de "l'Autre" en isolant chacune des communautés et anéantissant le rôle de lieu d'échanges qui définit la vie citadine, et au final s'ancrent dans les espaces de vie durablement.




Les "murs de la paix" à Belfast (France 24 - 9 avril 2008)






Et les autres murs ?

Mais la problématique des murs dans la ville en guerre ne se pose seulement en fonction de la construction des murs de séparation. Les murs détruits sont un premier angle d'approche, bien connu, qui permet d'évaluer le coût de la reconstruction, non seulement en termes économiques, mais également en termes de drame humain. Les études sur la reconstruction du bâti sont nombreuses. L'urbanisme peut d'ailleurs être utilisé comme un moyen pour poursuivre la guerre dans la paix, non seulement à travers des barrières de séparation, mais également "la reconstruction exprime le rapport de forces issu de la guerre ; elle met en oeuvre la vision du vainqueur" (Eric Verdeil, Reconstructions manquées à Beyrouth", Annales de la recherche urbaine, n°91, dossier "Villes et guerres", décembre 2001, p. 65). Le cas de Beyrouth a particulièrement été étudié par les géographes, et montre l'efficacité géographique de la guerre par-delà le temps de la guerre. Et la problématique des murs pose également la question de la symbolisation de ceux-ci : les murs sont utilisés comme support d'une matérialisation des lignes de fractures dans la guerre. Les murs de Beyrouth ou de Belfast témoignent de cette utilisation du mur, notamment à travers l'utilisation des graffiti ou des affiches collées sur les murs, utilisés comme des messages visuels symbolisant l'appropriation d'un quartier par une communauté. Les peacelines de Belfast sont ainsi couverts de graffiti représentant des drapeaux identitaires et identifiant les quartiers comme des territoires appropriés : les limites du quartier-territoire ne sont pas seulement symbolisées par les murs, mais également par l'utilisation qui en est faite en tant que support symbolique de cette distanciation volontaire (voir notamment le mémoire de Maud Guichard-Marneur : Vie communautaire et politique culturelle à Belfast, 2003, Sciences Po Rennes). On retrouve également cette utilisation des murs comme support de messages identitaires dans les autres villes en guerre où pas ou peu de murs de séparation ont été construits. Tous les murs de la ville peuvent devenir support d'un message politique. Ainsi, à Beyrouth la prolifération des affiches collées sur des murs et des graffiti "définissait un espace idéologique particulier. Il lui était possible d'identifier, grâce aux signes extérieurs exhibés, les territoires contrôlés par chaque groupe politique et suivre dans le temps l'évolution de leurs contours. Toute modification du contenu iconographique, tout changement dans la combinatoire figurative d'éléments particuliers, tout déplacement des lieux de placardage, lui ont reflété les évolutions internes des émetteurs et la qualité de leur quadrillage du territoire, espace perpétuellement contesté par les forces en présence" (Michael F. Davie, 1992, "Les marqueurs idéologiques à Beyrouth (1975-1990)", L'Affiche Urbaine). Ainsi, l'utilisation des murs permet d'identifier les limites des quartiers identitaires et d'en signaler les seuils : attention, ici vous entrez dans un territoire communautaire approprié !

Journée d'études "La guerre juste"


"La guerre juste. Approches de la théorie politique"

Journée d'études organisée le mardi 10 février par le Centre Raymond-Aron de l'EHESS et l'université Irvine, avec le soutien de la Fondation Saint-Cyr. Amphithéâtre de l'EHESS (105 boulevard Raspail, Paris).

9h00-09h30 : Introduction
par Daniel Brunstetter (Irvine).

9h30-11h00 : L’Amérique et la guerre juste
Guillaume Durin (Lyon-III), Les théories américaines de la guerre juste.
Daniel Brunstetter (Irvine), Yes we can : Obama on war.
Discutant : Olivier Chopin (EHESS).

11h30-13h00 : Guerre juste et éthique de la guerre
Ariel Colonomos (CERI-CNRS), Guerre préventive et guerre juste.
Jean-Vincent Holeindre (EHESS), Les ruses de guerre sont-elles toujours perfides ? Une approche du droit de la guerre.
Discutant : Gérald Larché (EHESS).

13h00-15h00 : Déjeuner libre

15h00-16h30 : Sortir de la guerre
Julie Saada (IUFM/Paris-IV), Jus post bellum et justice transitionnelle.
Brian Orend (Waterloo), Justice After War: Perspectives Today.
Discutant: Dario Battistella (IEP Bordeaux).

17h00-18h00 : Conférence de clôture
Philippe Raynaud (Paris-II), La guerre juste entre philosophie politique et philosophie du droit.

18h00 : Pot amical
Hall de la Maison des sciences de l’homme, 54, bd. Raspail Paris 6e.


Contact : Jean-Vincent Holeindre, holeindr@ehess.fr

mercredi 21 janvier 2009

Territoires de la délinquance et territoires de la police dans la ville


Les territoires de la criminalité et les territoires de la violence sont des sujets de préoccupation pour les géographes en tant que "modeleurs" de logiques spatiales et sociales, principalement dans les villes. Le recours à la cartographie pour comprendre les territoires de la délinquance dans la ville et également de mettre en exergue les stratégies territoriales des forces de maintien de l'ordre. Face à la mise en place d'un contrôle territorial, les acteurs de la délinquance et de la criminalité doivent réinventer les formes de leurs "actions" ainsi que leurs spatialités. L'interaction entre territoires de la criminalité et territoires policés transforme constamment les logiques d'appropriations territoriales par ces acteurs officieux et officiels. Plusieurs articles récents ont été consacrés à ces modalités d'occupation du territoire, tout particulièrement dans la ville, et étudient les formes de maillage installé dans la ville pour asseoir et diffuser la criminalité, ou au contraire surveiller et contrôler le territoire, voire punir les acteurs de la déstabilisation et de l'illégalité.



Les Cafés géo de Paris ont invité le 16 décembre 2008 Bruno Fuligni (écrivain et historien, qui a dirigé un ouvrage collectif publié fin 2008 : Dans les secrets de la police. Les Trésors inédits des archives de la Préfecture de la police, Editions L'Iconoclaste, Paris), Michael Sibalis (historien, auteur d'un chapitre dans l'ouvrage Dans les secrets de la police) et Paul-David Régnier (géographe, spécialiste des questions de géographie militaire, auteur du Dictionnaire de géographie militaire, CNRS Editions, Paris, 2008). Les 3 auteurs ont montré en quoi la compréhension du territoire urbain, des acteurs de la ville, des formes de l'illégalité et de la délinquance, et leurs appropriations territoriales différenciées permettent de comprendre les formes d'intervention des forces de rétablissement de l'ordre, que ce soit dans le cas d'une police qui régule l'application des règles d'une société, ou dans le cas d'une armée qui intervient pour rétablir la paix.



Londres : les lieux du crime
La lutte contre les diverses formes d'insécurité est devenu, de par le monde, un argument politique de plus en plus utilisé, voire convoité. Après la publication de la 1ère carte des crimes et des délits sexuels à Paris, c'est au tour de Londres de publier sa carte des délits en ligne, carte qui sera actualisée tous les mois. De quoi provoquer des pratiques spatiales "formatées" par la peur de l'insécurité et transformer les représentations des Londoniens sur certains quartiers. Laurent Grison analyse les objectifs politiques de cette décision de mettre en exergue des hauts-lieux de la violence et de l'illégalité dans la ville de Londres : "Pour le maire Boris Johnson, la cause est entendue : Crime mapping donne des informations aux Londoniens sur les délits dans leur quartier et vise à les rassurer car leur perception de la délinquance serait exagérée. Il encourage, aussi et surtout, les citoyens à collaborer activement avec la police pour rendre plus sûr leur lieu de vie". A voir si la publication de telles cartes renforce réellement un sentiment de sécurité quant à une perception de la délinquance exagérée, ou au contraire ne renforce pas le sentiment d'une insécurisation de plus en plus marquée. La cartographie criminelle constitue bien un outil d'aide dans l'élaboration d'un maillage sécuritaire, mais n'est-elle pas aussi - lorsqu'elle est publiée à des fins politiques - un moyen de rendre la ville de plus en plus vulnérable en affichant les dangers de celle-ci ?







Géocriminologie : quand la cartographie permet aux géographes d'investir la criminologie
Dans cet article, Claire Cunty, Fabrice Fussy et Pascale Perez analysent l'importance de la géographie comme outil d'analyse de la criminologie : comment la géographie permet-elle de comprendre les territoires de la délinquance, mais également les représentations des habitants sur cette "violence ordinaire" selon l'expression de Jérôme Tadié (Les territoires de la violence à Jakarta, Belin, collection Mappemonde, Paris, 2006) ? L'accent est porté sur la pertinence de la cartographie criminelle comme moyen d'affiner la compréhension des territoires de l'illégalité et de la criminalité, et sur les différents usages de ce type de cartes (usage de connaissance, usage tactique, usage stratégique et usage politique).





A signaler : une émission de Planète Terre sera consacrée le mercredi 25 février 2009 (14h00-14h30 sur France Culture) aux "Mafias et territoires urbains" avec pour invité Fabrizio Maccaglia (agrégé et docteur en géographie, actuellement pensionnaire de la Fondation Thiers à Paris). On peut également retrouver son intervention sur RFI du 21 mai 2008 : "L'enjeu est de parvenir à soustraire à la mafia non seulement le contrôle du territoire mais aussi le contrôle du transport des déchets" et un compte-rendu du Café géo du 29 février 2002 sur "Mafia et Camorra : les territoires illégaux en Italie" avec la participation de Colette Vallat (géographe, Professeur à l’Université Paris 10), Jean-Louis Tissier (géographe, professeur à l’Université Paris 1), Fabrizio Maccaglia, et Anne-Marie Matard-Bonucci (historienne, EHESS).


Territoires et identité : du nouveau aux Cafés géo


Plusieurs Cafés géo ont traité ces derniers temps du lien entre territoires et identité. A consulter pour ceux qui s'intéressent à la double problémtique questionnant les territoires comme porteurs d'identité ou l'identité comme productrice de territoires, plusieurs Cafés géo rendent compte de l'intérêt des géographes pour ces questions.




Les Cafés géo de Rouen ont invité le 19 novembre 2008 France Guérin-Pace, Elena Filippova et Yves Guermond, auteurs de l'ouvrage Ces lieux qui nous habitent. Identité des territoires, territoires des identités (dirigé par France Guérin-Pace et Elena Filippova, 2008, Paris-La Tour d'Aigue, INED-L'Aube, 275 pages). Le compte-rendu montre la pertinence de lier les concepts de territoire et d'identité pour comprendre les appropriations spatiales et les appartenances territoriales qui "formatent" les espaces de vie et les représentations mentales des habitants de la planète.




Le Café géo de Paris du 28 octobre 2008 a proposé de s'interroger sur le drapeau et le blason comme reflets d'une volonté de s'approprier le territoire et de montrer cette appropriation. Le territoire est ainsi identifié par des symboles qui permettent de se distinguer d'un "Autre" (que ce soit le village voisin, la communauté définie comme différente...). Les drapeaux et les blasons marquent le territoire en le délimitant et en lui signifiant une identité. Ils reflètent également une appartenance des habitants à une identité et à un territoire. Alors que l'on travaille plus volontiers sur la frontière comme marqueur spatial d'un territoire associé à une identité (que cette frontière soit réelle ou imaginée), les autres marqueurs d'une identité territoriale sont moins souvent interrogés, et pourtant l'exemple des drapeaux et des blasons montrent combien ils sont nombreux et chargés de sens.





Les Cafés géo de Paris ont acceuilli le 25 novembre 2008 la philosophe Barbara Cassin pour présenter l'ouvrage Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles (2004, Le Seuil, Paris, 1680 pages) et tenter de dépasser la simple approche cartographique des langues. Le fait de penser le Monde dans une langue impose déjà un filtre de représentation (selon l'expression de Jean-Pierre Paulet qui démontre ainsi combien notre représentation du monde réel est transformée par un jeu de filtres qui tiennent de notre subjectivité) : une langue, "c’est un filet jeté sur le monde et au moyen duquel on rapporte un autre bout du monde".