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mercredi 29 avril 2009

Zones grises : les zones tribales au Pakistan


Le 29 avril 2009, l'armée pakistanaise a pris le contrôle de la principale ville de la vallée de Buner, à l'Est des régions tribales du Pakistan tenues par les Talibans (Voir "Pakistan : l'armée affirme avoir repris le chef-lieu de Buner aux talibans", AFP, 30 avril 2009). Cette opération militaire a permis de prendre le contrôle de la ville de Daggar, mais le reste de la vallée de Buner reste sous le contrôle des Talibans (Voir "L'armée pakistanaise contrôle la principale ville de Buner", L'Express, 29 avril 2009). Dans la semaine du 20 avril 2009, les Talibans avaient conquis la ville de Daggar, prenant le contrôle de toute la vallée de Buner, située dans la Province du Nord-Ouest, s'approchant ainsi de la capitale du Pakistan, Islamabad (voir "Pakistan : L'inexorable progression des talibans vers la capitale", LCI, 24 avril 2009).



Les zones tribales : une "zone grise"
On entend par "zones grises" (ou Terrae incognitae) "des zones - et des populations - exclues du réseau mondial de l'autorité politique, de l'économie d'échange, de l'information et qui se structurent selon leurs propres lois, atteignant un haut degré d'autonomie et d'opacité" (Pascal Boniface, "Les Terrae incognitae ou zones grises", dans Pascal Boniface (dir.), Atlas des relations internationales, Hatier, Paris, 2003, pp. 60-61). Les zones grises sont donc des zones de non-droit, ou plus précisément, d'un autre droit, dans lequel la souveraineté de l'Etat est totalement remise en cause au point de devenir inexistante, et qui sont aux mains d'acteurs syntagmatiques (c'est-à-dire ceux qui ont un programme) qui ne répondent qu'à leurs propres lois. On retrouve des zones grises à la fois dans les zones de guérillas (comme, par exemple, au Sri Lanka : voir l'article de Delon Madavan, "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire", EchoGéo, Rubrique Sur le vif 2009, 2009), mais également à l'intérieur des villes, dans des quartiers échappant au contrôle des autorités locales (comme, par exemple, à Karachi : voir le blog Anthropologie du présent et les articles de Laurent Gayer, "Karachi : violences et globalisation dans une ville-monde", Raisons politiques, n°15, n°2004-3, 2004, pp. 37-51 ; et de Michel Boivin, "Karachi et ses territoires en conflit : pour une relecture de la question communautaire", Hérodote, n°101, n°2001-2, 2001, pp. 180-200).




Les "zones tribales" du Pakistan entrent parfaitement dans cette définition de "zones grises". Situées au Nord-Est du Pakistan, à la frontière avec l'Afghanistan, elles échappent totalement au contrôle du gouvernement pakistanais. Fait particulier : c'est le gouvernement pakistanais qui a lui-même "abandonné" le contrôle de ce territoire. "Les zones tribales du Pakistan ("Federally Administered Tribal Areas"), situées dans le nord-est du pays, sont administrées dans le cadre du "Frontier Crimes Regulation", inchangé depuis 1901. Le gouvernement pakistanais, suivant l’ancien exemple britannique a choisi, par pragmatisme, d’abandonner toute autorité, en faveur de l’ancienne loi pachtoune, le Pachtunwali pratiqué par différents tribus de cette puissante ethnie. Ce régime juridique de type féodal prive les habitants de ces zones des protections liées aux droits de l’Homme, y compris les institutions fondamentales de la démocratie (séparation des pouvoirs, recours devant les tribunaux). En outre la législation prévoit la responsabilité collective, ce qui signifie que le village entier d’un fugitif, ou sa famille entière peuvent être arrêtés tant qu’il ne s’est pas rendu, ou tant qu’il n’a pas été puni par sa propre tribu. Les étrangers et les journalistes n’ont officiellement pas le droit d’entrer dans les zones tribales, en particulier dans les secteurs où se déroulent des opérations militaires, ce qui restreint sérieusement la diffusion d’informations sur cette région" ("Les zones tribales", RFI, 17 avril 2006).

Les zones tribales sont aux mains des Talibans (ou "étudiants en religion"), et posent donc la question de la porosité de la frontière : alors qu'elles sont incontestablement ouvertes vers l'Afghanistan, les zones tribales sont relativement fermées vers le Pakistan, dont elles dépendent officiellement, mais dont l'autorité étatique n'est absolument pas reconnue. Mais les dernières progressions des Talibans vers la Province du Nord-Ouest, se rapprochant de la capitale, montrent combien les zones tribales offrent aux Talibans une profondeur stratégique non seulement vers l'Afghanistan, mais également vers le Pakistan.

L'important pour le Pakistan était d'empêcher cette progression et d'empêcher les Talibans d'étendre durablement leur zone de contrôle dans laquelle ils imposent leur propre droit. Le fait de reprendre la ville de Daggar n'a pas encore permis de reprendre le contrôle de tout le district. Mais cela démontre néanmoins l'importance stratégique et psychologique de la prise des villes dans les guerres actuelles, en tant que verrou. Les combats entre les Talibans et l'armée pakistanaise ont entraîné le déplacement d'au moins 30.000 civils (voir "L'offensive militaire contre les Taliban fait des milliers de déplacés", France 24, 28 avril 2009).


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