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lundi 13 juin 2011

Le Sud-Soudan vu par les géographes


La partition du Soudan en deux Etats suite au référendum d'auto-détermination du Sud-Soudan ne se fait pas sans heurts. Si le référendum a donné, selon les résultats officiels, 98,83 % de "oui" à l'indépendance, ces derniers jours ont été marqués par des combats à la nouvelle frontière entre Soudan et Sud-Soudan. Ce référendum était programmé dans le cadre du règlement du conflit entre le Nord-Soudan et le Sud-Soudan qui oppose ces régions depuis une trentaine d'années. Le Sud-Soudan a ainsi été ravagé par une guerre civile de 1983 à 2004 (on estime à 1,5 million le nombre de morts et à 4 millions le nombre de déplacés/réfugiés de guerre). Parallèlement, un autre conflit se déclare, dès 2003, dans la région du Darfour, à l'Est du Soudan (à ce propos, on se reportera notamment à l'article de Marc Lavergne pour Géoconfluences : "Darfour : impacts ethniques et territoriaux d'une guerre civile en Afrique").
Le Sud-Soudan
Source : Le Figaro, publié dans "L'indépendance annoncée du Sud-Soudan",
blog Les efflorescences, 22 février 2011.


La fragmentation politique (voir l'article de Stéphane Rosière : "La fragmentation de l'espace étatique mondial. Réflexions sur l’augmentation du nombre des États" et l'éditorial d'Amaël Cattaruzza : "Fragmentation : cloisonnement et/ou recomposition de l’espace politique ?" pour la revue L'espace politique, n°11, 2010) est un sujet qui préoccupe tout particulièrement les géographes, dans la mesure où elle n'a pas des incidences qu'à l'échelle des Etats, mais qu'elle perturbe également les espaces de vie, comme le montre l'exemple des Soudans.

Conflits au Soudan
Source : Atlas 2010 du Monde diplomatique, publié dans Sylvain Kahn, "Le Soudan :
les géographes et les frontières", Globe, 8 juin 2011.

 Sylvain Kahn a consacré son émission Planète Terre de ce mercredi 8 juin 2011 au "Soudan : quelle géographie après le référendum d'autodétermination du sud ?" avec pour invités la politiste Maria Gabrielsen et le géographe Marc Lavergne (l'émission est disponible en podcast et à la ré-écoute sur le site de France Culture). Sylvain Kahn propose, par ailleurs, une bibliographie très intéressante et très complète autour de la question "Soudan : les géographes et les frontières" dans le blog de l'émission, Globe (la bibliographie/sitographie est d'autant plus intéressante qu'elle est construite autour de 3 axes : I/ Confrontations des imaginaires spatiaux et chocs des représentations géographiques ; II/ Soudan indépendant : comprendre les  frontières de l’intérieur ; III/ 2011, quelles frontières au Soudan après le référendum d’autodétermination ?). Ce billet nous fait, par exemple, découvrir une très intéressante cartographie interactive du Soudan (groupes ethniques, mortalité infantile, eau et installations sanitaires, éducation, insécurité alimentaire, champs pétroliers) qui permet de rappeler que le pétrole n'est pas le seul enjeu crisogène du Soudan, loin de là.
 
Les groupes ethniques au Soudan
Source : site de la BBC, janvier 2011.

Ne pas surévaluer l'impact des enjeux pétroliers, c'est ce qu'explique également Marc Lavergne, invité d'Arte Reportage le 8 janvier 2011 dans le cadre de l'émission consacrée au référendum d'auto-détermination du Sud-Soudan : "Sud-Soudan : la naissance d'une nation". On retrouvera également un autre extrait de cette émission : l'entretien avec Gérard Prunier, historien spécialiste de la Corne de l'Afrique ; ainsi que le compte-rendu du café géopolitique du 6 décembre 2010 avec ces deux spécialistes : "Soudan, vers la partition ?". Voir, enfin, le blog de Marc Lavergne, dans lequel on retrouvera certains de ses articles parus sur la question de la partition du Soudan.

"Sud-Soudan : interview de Marc Lavergne"
dans "Sud-Soudan : naissance d'une nation", Arte Reportage, 8 janvier 2011, Arte.


On l'a dit, les questions qui sont en jeu ne sont pas seulement de l'ordre des ressources pétrolières, bien loin de là. Par exemple, la capitale du Soudan, Khartoum, s'est trouvée transformée par l'afflux des déplacés de guerre (depuis le Sud-Soudan dès les années 1980 et le Darfour dans les années 2000). Pour les déplacés Sud-Soudanais, se pose aujourd'hui la questin épineuse du retour, pour certains 30 ans après leur déplacement. Leur statut a changé : ils étaient déplacés à l'intérieur de leur pays, et son devenus, avec l'indépendance, des réfugiés (hors des frontières du pays - le Sud-Soudan - dont ils sont ressortissants). Ce problème est d'autant plus prégnant dans le cas des enfants de ces déplacés de guerre, nés à Khartoum, qui, pour beaucoup, n'ont jamais vu le Sud-Soudan, et qui doivent aujourd'hui effectuer un "retour" vers non seulement un nouvel Etat, mais aussi un espace de vie qui leur est inconnu. Les capacités de la nouvelle capitale du Sud-Soudan, Djouba (orthographiée "Juba" dans sa forme anglicisée), ainsi que les actuelles transformations de la ville de Khartoum du fait de l'éventuel départ d'une part importante de la population vers le Sud-Soudan (qui provoquent autant de jeux fonciers que de problèmes d'ordre politique, et ce dans les deux villes-capitales) sont autant d'enjeux qui émergent avec l'apparition de cette nouvelle frontière. Voir, à ce propos, le compte-rendu de l'intervention de la géographe Alice Franck aux 10èmes journées Géo'rizon (consacrées à "l'Afrique de l'Est") sur "Les paradoxes de la capitale soudanaise : Khartoum, miroir des crises et coeur du développement du pays" (ce compte-rendu sera très prochainement publié sur le site des journées Géo'rizon et sur le site des Cafés géographiques).

Autre point que l'on peut souligner : la dimension environnementale de ces conflits. En effet, la géographe Yveline Déverin publie sur son site Geo-phile.net un article paru dans Le Monde datant de 2007 sur "La dégradation de l'environnement, entrave à la paix au Soudan, prévient l'ONU". Il ne faut pas oublier combien la question de l'eau est prégnante dans cette région, surtout dans un contexte où les ressources en eau sont monopolisées par le pays situé en aval des ressources - l'Egypte - qui ne joue pas de sa position, mais bien de sa puissance dans l'aire régionale. Or, ces ressources hydriques transfrontalières font l'objet de nombreux enjeux diplomatiques et politiques, souvent oubliés au détriment de la question pétrolière : un nouvel accord pour le partage des eaux du Nil est pourtant en train de modifier le rapport de force entre l'Egypte (le contexte des printemps arabes qui touche également l'Egypte modifiera peut-être la place de l'Egypte non seulement dans le Machrek, mais aussi dans l'Afrique de l'Est : pour retrouver des articles sur la question, voir le billet "Le printemps arabe vu par les géographes" - y compris le commentaire du géographe Eric Verdeil qui a gentiment complété cette biliographie/sitographie) : c'est le propos de l'article de la géographe Emilie Lavie : "Coup de théâtre dans le bassin du Nil" (Cafés géographiques, rubrique "Vox geographi", 25 mai 2011). Enjeux régionaux, les ressources hydriques sont également un enjeu à l'intérieur du Soudan, et le découpage politique peut remettre en cause ce partage des eaux : le PNUD (programme des Nations unies pour le développement) note combien "au Soudan, l'accès à l'eau favorise le développement et réduit les tensions".

Soudan : eau et installations sanitaires
Source : site de la BBC, janvier 2011.
Voir également "La question de l'eau au Soudan" sur le site du CTRDV.

Les tensions actuelles sur les frontières produisent des déplacements massifs. Les combats à la nouvelle frontière opposent l'armée du Sud-Soudan et une milice rebelle dans l'Etat du Haut Nil (voir un article du Monde). La ville d'Abyei, qui était déjà au coeur de la zone de combats dans le conflit interne qui opposait le Nord et le Sud du Soudan (jusqu'à l'accord de paix de 2005), se retrouve de nouveau en plein dans la violence. Le 7 juin 2011, on estimait à 100.000 habitants le nombre de déplacés/réfugiés ayant fui cette ville (dont 50.000 enfants selon l'UNICEF), qui se retrouve à la frontière entre le Soudan et le Sud-Soudan (voir un reportage de France 24). Ce lundi 13 juin, les deux Etats - le Soudan et le Sud-Soudan - ont annoncé "s'entendre pour démilitariser la région d'Abyei". Néanmoins, ces tensions entre acteurs politiques officiels et acteurs officieux (tels que des milices) ont provoqué des déplacements massifs, qui vont déstabiliser la région. 

 
==> Ainsi, la fragmentation politique ne peut être vue seulement au regard des enjeux politiques, et la géographie sociale permet d'éclairer d'autres enjeux, parfois oubliés, parfois à distance du tracé de la nouvelle frontière. Procéder à des changements d'échelles est également nécessaire pour comprendre l'entremêlement de ces enjeux. 



2 commentaires:

Tratnjek Bénédicte a dit…

Actualisation : l'article du géographe Marc Lavergne "Sud-Soudan : Chronique d’une indépendance annoncée" publié dans le Monde diplomatique de février 2011 est en ligne :

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/02/LAVERGNE/20122

Tratnjek Bénédicte a dit…

Autre actualisation : le compte-rendu de l'intervention d'Alice Franck aux journées Géo'rizon (dont il est question dans ce billet) est en ligne sur le site des journées Géo'rizon et sur le site des cafés géographiques :

- http://www.cism.univ-savoie.fr/forma/geographie/georizon.html

- http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2218


On retrouvera également un "Dossier" des Cafés géographiques sur les "Soudan(s") :
http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2224