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mardi 27 septembre 2011

Programme du prochain Festival international de Géographie : l'Afrique plurielle



Le programme définitif du prochain FIG (Festival international de géographie) qui se déroulera à Saint-Dié-des-Vosges du jeudi 6 au dimanche 9 octobre 2011 et qui sera consacré à "l'Afrique plurielle : paradoxes et ambitions" est en ligne sur le site du FIG (à noter pour ceux qui se trouvent à proximité de Saint-Dié-des-Vosges que la programmation prévoit des activités autour du Festival dès le lundi 3 octobre).

En attendant, les Cafés géographiques proposent un dossier "Afrique(s)" et le site Géoconfluences propose de redécouvrir son dossier "Afrique subsaharienne : territoires et conflits".

Voici également les 6 itinéraires proposés lors du Festival, afin de découvrir l'Afrique et les pays à l'honneur et les territoires invités pour cette 22ème édition : le Rwanda, le Togo, la Réunion, Mayotte et les Terres Australes et Antarctiques Françaises.

A noter, à propos des thématiques intéressant ce blog, un itinéraire consacré aux "Crises et conflits", dans lequel on retrouvera notamment les interventions d'Elisabeth Dorier-Apprill, de Roland Pourtier, Jean-Louis Chaléard, Alain Dubresson, Christian Bouquet...




Itinéraire 1 - La diversité des paysages africains : usages et protections

Itinéraire 1 - La diversité des paysages africains

L’Afrique, cet immense continent où s’opposent des milieux secs (les déserts Sahara, Kalahari), et des fleuves immenses (le Congo, le Nil), des espaces semi-arides (le Sahel aux marges du Sahara) et de vastes forêts toujours vertes dans la cuvette très humides du Congo, porte aussi des montagnes (Maghreb, grands volcans de l’Est africain), de grands lacs (Victoria…), d’immenses littoraux ouverts sur la Méditerranée, l’Atlantique et l’océan Indien... L’Afrique a depuis longtemps suscité des convoitises pour ses ressources naturelles et notamment le bois. Mais, alors même que l’exploitation par les entreprises des pays européens progressait, un discours sur la protection s’est anciennement fait jour et des parcs, des réserves ont été implantés dès 1898 en Afrique du Sud (parc Kruger), en 1925 au Congo (parc Virunga). Le discours commun évoque aussi le désert qui «avance», ses marges qui se dessèchent (au Sahel notamment), et la désertification qui menace. Il insiste également sur le recul de la vaste forêt du bassin du Congo, sur la dégradation des sols agricoles, sur les maladies liées à la mauvaise qualité de l’eau… Bref, les discours sur l’Afrique sont systématiquement dramatisés, catastrophistes. Que faut-il penser de cela ? Et peut-on envisager l’Afrique dans sa globalité sans mettre en évidence la variété des situations ? Ces situations dramatiques sont dans la plupart des cas envisagées comme résultant des actions des sociétés africaines, et notamment des populations les plus pauvres qui dégradent leur environnement, en consomment les ressources. Comment envisager ces rapports entre la nature et les sociétés africaines ? Les réponses fournies par les ONG de protection de la nature, en termes de parcs, de réserves, d’où les populations sont souvent exclues autoritairement, sont-elles satisfaisantes ? C’est à ces questions que le parcours n°1 tentera de répondre. Les réponses ne peuvent être que nuancées et plurielles comme le sont les sociétés africaines qui depuis très longtemps utilisent diversement la nature.
Yvette Veyret, Professeur de Géographie, Paris X Nanterre



Itinéraire 2 - Crises et conflits

Itinéraire 2 - Crises et conflits

Les médias n’invitent l’Afrique que quand elle souffre ou menace l’Occident : famines, sida, guerres civiles, terrorisme islamique, piraterie. Depuis les indépendances, des conflits multiformes n’ont cessé de rythmer l’histoire d’un continent confronté à de multiples défis. Celui du nombre : le quadruplement de la population de l’Afrique noire depuis 1960 génère des conflits pour l’accès aux ressources vitales, terre et eau. Celui de laconstruction d’Etats dont les frontières tracées par les puissances coloniale ne coïcident pas avec des  configurations ethniques au demeurant mouvantes. Depuis les indépendances, la plupart des conflits armés ont été des guerres civiles ne remettant pas en cause le dogme de l’intangibilité des frontières de 1963. Toutefois, l’accession à la souveraineté du Sud-Soudan en juillet 2011 ouvre une brèche, aux conséquences imprévisibles, dans l’ordre territorial hérité. Les guerres expriment dans la violence la rivalité entre groupes rivaux, civils ou militaires, pour l’accession au pouvoir et aux avantages économiques auxquels il donne accès. Les fragilités institutionnelles inhérentes à la jeunesse des Etats et les difficultés à faire émerger des identités nationales dans des contextes de pluralité ethnique créent des conditions propices aux conflits. En s’émancipant des réseaux, comme ceux de la Françafrique qui ont longtemps bridé leur indépendance les Etats africains sont entrés de plain-pied dans la mondialisation. Les pays émergents ont rejoint les pays du Nord, redessinant une géopolitique dominée par la compétition pour les ressources naturelles, pétrole et minerais, au risque, pour l’Afrique, de la malédiction des matières premières. La diversité des situations interdit les analyses univoques. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs ou ceux qui opposent autochtones et allochtones partout où le foncier est devenu un enjeu crucial sont d’une autre nature que les conflits mondialisés par les intérêts économiques des grandes puissances depuis la sécession du Katanga en 1960 jusqu’à la guerre de Libye en 2011.
Roland Pourtier, Professeur de Géographie émérite, Paris I Panthéon Sorbonne



Itinéraire 3 - Le continent de l'entre deux milliards

Itinéraire 3 - Le continent de l'entre deux milliards

Un milliard aujourd’hui, deux milliards en 2050, l’ampleur du défi démographique qui attend les Africains et leurs partenaires tient dans cette fourchette. Bien amorcée par la conjonction d’une forte baisse de la mortalité et du maintien d’un fort désir d’enfants, la transition démographique lance le continent sur une croissance supérieure à 2 % par an, proche pour certains Etats de 3 % ! Le caractère inédit de cette transition démographique est son extrême brutalité, qui impose à certains Etats des doublements de population tous les 20 ans ! Avec un âge médian proche de 20 ans, la principale caractéristique de cette population est sa jeunesse. Formidable jeunesse d’un continent qui lui insuffle sa vitalité quotidienne, son appétit de vivre, ses rêves, ses attentes, ses frustrations, ses impatiences en terme de consommation, d’éducation de participation. Formidable réservoir de main d’oeuvre en attente d’un emploi, dans le secteur informel aujourd’hui, dans les entreprises industrielles demain ? En quoi la transition sanitaire, le passage d’un complexe pathogène dominé par les parasites et les infections à un tableau clinique plutôt dessiné par les symptômes des maladies de la dégénérescence (cancers et maladies cardio-vasculaires) et de la mal-consommation (diabète) - elle aussi bien amorcée, et ce même au-delà des effets de la pandémie VIH-sida - fait-elle système avec ces dynamiques démographiques et géographiques ? Car, évidemment, ce qui intéresse le géographe, ce sont autant ces dynamiques que leurs conséquences spatiales voire territoriales. En effet, la croissance de la population, en remplissant les terroirs, amène à des adaptations, des diversifications, des réaménagements productifs mais aussi à de formidables redistributions de peuplement. Car, quoique sur la longue durée, la carte des densités africaines montre une remarquable résilience, le continent est travaillé par des migrations très importantes. Les migrations africaines concernent d’abord les Etats du continent et posent aux politiques publiques de formidables défis d’aménagement du territoire et redéfinissent les liens sociaux.
Bernard Calas, Bordeaux III



Itinéraire 4 - L'émergence de l'Afrique : un défi pour le continent ?

Itinéraire 4 - L'émergence de l'Afrique

Et si «le temps de l’Afrique», celui du décollage économique, était effectivement arrivé ? Après avoir été stigmatisée durant de nombreuses années sous les seuls aspects de l’afro-pessimisme (sida, guerres ethniques et civiles, famines, pauvreté, avancée du désert, sous-développement, etc.), les observateurs internationaux rivalisent désormais d’imagination pour faire état de la nouvelle dynamique très favorable dans laquelle l’Afrique subsaharienne semble emportée, constat qui trouve son pendant politique en Afrique du Nord au travers du «Printemps arabe». Mais ce changement de regard est trop unanime et soudain pour ne pas paraître à son tour un peu suspect. Au florilège des idées reçues de naguère, d’autres idées reçues ne se substitueraientelles pas ? Si la forte croissance du PIB (5 % en moyenne en 2010, soit plus du double de celle observée durant les années 1990) constitue un paramètre indiscutable, on sait cependant qu’elle ne se transforme pas facilement en développement et qu’il faudra encore plusieurs décennies au rythme actuel pour que soit éradiquée la pauvreté. Ce changement de perception doit beaucoup à l’activisme manifesté depuis quelques années par les grands pays émergents (Chine, Brésil, Inde, etc.) et des rivalités nouvelles qui naissent entre puissances extérieures du Nord et du Sud, d’une part à l’égard des prometteurs marchés de consommation africains qui constituent autant de relais de croissance, d’autre part des matières premières (énergétiques, agricoles et minérales) dont le sous-continent regorge et qui constituent un enjeu majeur dans le cadre de la mondialisation contemporaine. Ce décollage économique est enfin surtout un redoutable défi pour le continent africain, car il reste fragile et très dépendant de la conjoncture internationale. D’autre part, rien ne dit que les progrès enregistrés seront suffisants pour faire diminuer le sous-emploi chronique des populations et reculer la pauvreté. Par ailleurs, l’Afrique saura-t-elle se rendre plus attractive aux yeux des investisseurs, notamment dans les domaines d’activité qui lui font encore si largement défaut (industrie, nouvelles technologies, services sophistiqués) ?
François Bost, Maître de conférence, Paris X Nanterre



Itinéraire 5 - L'Afrique, un singulier pluriel !

Itinéraire 5 - L'Afrique, un singulier pluriel !

Quel est l’avenir de ce continent, faut-il cultiver des positions afro-pessimistes ou afro-optimistes ? Il est nécessaire de prendre suffisamment de recul pour s’installer dans une posture prospective tout en s’accordant sur son passé afin d’ouvrir ses sens géographiques pour imaginer son avenir. Ce continent a été sous la domination de puissances coloniales pendant des siècles jusqu’aux indépendances et parfois néocoloniales depuis. Son réveil de fait est récent et d’une certaine manière son futur lui appartient. Cette perspective est d’actualité et il sera au chevet de notre vieux continent européen pour lui éviter de sombrer à son tour. L’Afrique est un singulier pluriel ! Singulier car ce continent a subi des drames sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Dépouillé de ses richesses dont ses hommes et ses femmes, sa place dans les échanges commerciaux n’a jamais été équitable ! D’autres richesses lui ont été et lui sont encore prélevées dont ses matières premières. Guerres, razzias, famine, pauvreté extrême, stress hydrique sont le lot quotidien de ce continent, et il n’en finirait pas de sombrer au plus profond des abîmes. Pour quelles raisons est-il encore présent dans notre monde, pourquoi est-il malgré tout acteur de la scène mondialisée ? Face aux fardeaux de l’héritage historique, il a fallu résister. Et ici le pluriel s’impose ! Les sociétés africaines ont cultivé par obligation des stratégies dont l’objectif principal a été d’annuler ou de diminuer les conséquences des désastres subis. Connaître ces résistances oblige à demander à nos sens géographiques de changer d’échelle afin de percevoir sa diversité. Les innovations qui se construisent ont pour origine les particularités de ce continent : un autre singulier. Parmi la diversité des capacités de résistance et d’innovation, nous aborderons les mobilités géographiques à l’origine des transferts matériels et immatériels. Les Africains sont connectés avec notre monde, notre avenir dépend aussi des échanges qui se construisent dans bon nombres de domaines touchant nos sens.
Patrick Gonin, Univ de Poitiers, MIGRINTER



Itinéraire 6 - La Réunion, Mayotte et les Terres Australes et Antarctiques

Itinéraire 6 - La Réunion, Mayotte et les Terres Australes et Antarctiques

Les liens avec l’Afrique plurielle sont évidents, que ce soit pour les deux départements insulaires ou plus encore pour les îles Eparses, partie prenante des TAAF, qui festonnent la grande île de Madagascar. L’histoire, le peuplement, une partie de la culture sont communs ou offrent des parallèles saisissants. La Réunion, Mayotte et les Terres Australes et Antarctiques fascinent. Elles sont à la fois proches et lointaines. Un simple timbre à 58 centimes d’euro permet à un courrier de cheminer de France métropolitaine à Saint-Denis de la Réunion ou à Logoni sur l’île de Mayotte. Point de gros décalage horaire, les îles sont à 12 heures d’avion, plein sud, au milieu de l’océan Indien, accessibles, accueillantes et tellement différentes. Les TAAF, elles, fascinent et pas uniquement le philatéliste qui guette avec avidité la livraison annuelle des émissions des Kergelen ou de Crozet. Le dépaysement est radical. Le vent, le froid, l’isolement, la solitude sont convoqués. Les noms évoquent de lointaines découvertes, des paysages immaculés, des conditions extrêmes que l’on atteint avec la Terre Adélie. Les enjeux sont à la fois scientifiques, géostratégiques et diplomatiques. Au début du 21e siècle, le statut de ces territoires peut paraître incongru à l’aune de la géopolitique mondiale et des indépendances. Anciennes terres de relégation, elles continuent à attirer et à étonner. Régulièrement ces territoires s’invitent dans l’actualité française comme pour se rappeler à un bon souvenir. C’est le classement des payasages réunionais à l’UNESCO, la création d’un 101e département à Mayotte, l’arraisonnage d’un navire-usine asiatique pêchant illégalement dans les eaux territoriales ou les nouvelles avancées sur le statut du continent Antarctique. Pour quelques heures ou quelques semaines, les projecteurs sont tournés vers ces îles et puis le temps passe, les nouvelles défilent, l’intérêt faiblit. Le FIG est heureux de fêter et accueillir ces îles françaises de l’océan Indien. C’est l’occasion pour nous de mieux connaître ces territoires, et, pour eux, de se faire connaître. Nous demanderons donc aux géographes de les présenter, de les décrypter et d’expliciter les enjeux naturels, sociaux et géopolitiques de ces espaces insulaires originaux.

mardi 20 septembre 2011

Exposition : Topographies de la guerre


Le Bal (place de Clichy - Paris) propose une exposition jusqu'au 18 décembre 2011 consacrée aux "Topographies de la guerre" dans laquelle sont exposés les travaux de Paola De Pierti, Jananne Al-Ani, Jo Ractliffe, An-My Lê, Harun Farocki, Donovan Wylie, Till Roeskens, Eyal Weizman (l'auteur de l'incontournable Hollow Land dont le chapitre VII a été traduit en français sous le titre A travers les murs : l'architecture de la nouvelle guerre urbaine : voir une recension sur le site de Non Fiction par Théo Corbucci) et Luc Delahaye, et enfin Walid Raad. L'exposition questionne le paysage de guerre, un thème récurrent sur ce blog. C'est, par ailleurs, souvent le travail de photographes qui s'intéresse à cette question du paysage de guerre, qui reste aujourd'hui encore un champ de recherche à explorer (on y reviendra très prochainement). L'exposition croise photographies et vidéos, pour proposer par ces oeuvres des réflexions sur le territoire en et dans la guerre, la question de l'ancrage géographique de la guerre dans les territoires, le visible/invisible de la guerre... La guerre par-delà le seul aspect des combats.


© Jananne Al-Ani, Shadow Sites II, 2011



Présentation de l'exposition par les organisateurs :
"Comment imaginer qu'autre chose que la bataille puisse représenter la guerre?

Les oeuvres photographiques ou vidéo réunies dans cette exposition laissent délibérément hors cadre l'affrontement, le corps, la chute, la blessure, la mort.

Toutes réalisées depuis 2000, elles ont donc en commun une ambition documentaire déclarée, manifeste : le parti pris d'une totale désincarnation de la guerre et, de ce fait, une focalisation sur les sites, les position, les espaces géologiques ou construits.

Des essais topographiques, en quelque sorte, qui, loin de renier le coût humain des combats, privilégient une lecture de la guerre par sa géographie. Ces options iconographiques coïncident, dans le domaine stratégique, avec l'usage de techniques de simulation, la propagation d'armes agissant à très longue distance, mais également avec la censure médiatique exercée par les États-majors, et la quasi-impossibilité pour les photographes et vidéastes d'opérer librement sur le terrain.

Le territoire de la guerre est-il en train de devenir une donnée abstraite, une construction idéologique, une donnée irreprésentable?"

Texte de Jean-Yves Jouannais et Diane Dufour, commissaires de l'exposition.


© Till Roeskens, Courtesy of the artist



Les oeuvres exposées :
  • PAOLA DE PIETRITo Face
  • JANANNE AL-ANIShadow Sites II
  • JO RACTLIFFEAs Terras Do Fim Do Mundo
  • AN-MY LÊ29 Palms
  • HARUN FAROCKISerious Games 4
  • DONOVAN WYLIEOutposts
  • TILL ROESKENSAïda, Palestine
  • EYAL WEIZMAN ET LUC DELAHAYEThe space of this room is your interpretation
  • WALID RAADLet’s be honest, the weather helped
  • COLLATERAL MURDER (mis en circulation par WikiLeaks)


Parallèlement à l'exposition, de nombreux événements sont à découvrir, telles que des visites-conférences, et des conférences-débats : par exemple, une rencontre avec Eyal Weizman le 12 novembre 2011, avec Anne-Marie Filaire et Jean-Marie Jouannais le 16 novembre, ou encore avec Till Roeskens le 12 octobre (voir toute la programmation sur le site du Bal). D'emblée, cette exposition ouverte depuis samedi s'avère être incontournable pour qui s'intéresse à la guerre et à la géographie des conflits, tant elle propose de revenir sur "l'efficacité géographique de la guerre" sur les territoires (pour reprendre l'expression proposée par la géographe Elisabeth Dorier-Apprill dans Vies citadines).


© Luc Delahaye & Eyal Weizman


vendredi 16 septembre 2011

Frontières mobiles : quelques réflexions après le colloque BRIT XI


Les XIe Rencontres du réseau BRIT (Border Regions in Transition) ont réuni à Genève et Grenoble les 6-9 septembre 2011 de nombreux intervenants et discutants autour de la question des "Frontières mobiles" (voir le programme). Une question originale, tant la frontière paraît a priori être figée dans l'espace, bien qu'elle soit malléable dans le temps. Or, l'approche mobilitaire ne questionne pas seulement le mouvement dans le temps long (où l'histoire des frontières est bien évidemment faite de déplacements bien connus) : elle appréhende également des mobilités "ordinaires", ancrées dans le quotidien. Ce n'est donc pas seulement la frontière juridique qui était questionnée dans ce colloque, mais aussi les frontières vécues, les frontières revendiquées, les disputes frontalières.



Présentation du colloque par les organisateurs :
Bien que leur mort, ainsi que celle des territoires, ait été annoncée au début des années 1990, les frontières constituent toujours une réalité prégnante. Elles sont marquées toutefois par les processus constants de déterritorialisation-reterritorialisation et d’ouverture / fermeture (« debordering-rebordering ») qui les sélectionnent, les re-hiérarchisent mais aussi qui les rendent plus diverses dans leurs formes et leurs matérialisations. Ainsi, l’inscription spatiale de la frontière est de plus en plus difficile à définir, ce qui constituera le cœur du questionnement de notre colloque. Différentes tendances sont en effet à l’œuvre, qui produisent des frontières plus mouvantes,  plus ouvertes ou plus floues. 
Tout d’abord la frontière fixe, dans sa forme la plus classique, s’avère toujours sujette à une certaine mobilité lorsqu’elle se cale sur des discontinuités naturelles dont la forme peut évoluer. Il en va ainsi des thalwegs qui fluctuent avec les évolutions des cours d’eau. Le changement climatique peut aussi être responsable de changement topographique avec la fonte de glaciers sur lesquels des frontières ont été établies, obligeant à revoir une frontière dépendant de la localisation d’un sommet, d’un col ou d’une ligne de partage des eaux. 
Mais la notion de frontière mobile prend toute sa dimension si l'on considère que les fonctions frontalières tendent à dépasser la localisation sur les limites établies des aires de souveraineté nationale, pour être repoussées, projetées, multipliées ou diffusées dans l’espace. La fonction de contrôle peut notamment être disséminée à travers le territoire national, et non plus fixée à la seule entrée de celui-ci. Il en va ainsi des frontières biométriques, numériques ou « intelligentes ». Les frontières s’organisent conjointement de plus en plus en réseau, ce qui a fait émerger l’idée de frontières réticulaires, se situant aux nœuds de communication. Que ce soit dans les aéroports, les gares, ou suivant des équipes mobiles de douaniers, les migrations et les transactions sont contrôlées par des « frontières mobiles ». 
Pour certains auteurs, ces dynamiques tendent à effacer la frontière, là où pour d’autres la logique réticulaire qui supplanterait celle du territoire créerait de nouvelles frontières, se trouvant loin du territoire national et ses limites administratives : elles sont projetées. On peut alors relier ce nouveau type de frontières au phénomène d’extraterritorialité. 
Il semble essentiel de se demander ce qu’il advient des régions frontalières dans ce contexte : certaines peuvent se trouver soulagées des contraintes imposées anciennement par la frontière, mais d’autres peuvent perdre les avantages comparatifs induits par ces frontières. De nouvelles dynamiques voient le jour, où la frontière tend à être repoussée, où la ligne de frontière est transformée en zone d’échanges ou de projet. Les zones frontalières jouent donc sur la frontière, la repoussant au gré de leurs besoins. 
Enfin, les nombreux espaces et territoires éphémères qui voient le jour dans un contexte postmoderne apportent une dimension supplémentaire à la notion de mobilité des frontières. Fronts agricoles, appropriations éphémères de l’espace public, autant de rapports de pouvoir au sein de la société tendant à créer des frontières toujours plus mobiles. 
Le colloque sera donc d’abord consacré aux frontières embarquées et individualisées, aux frontières projetées, aux frontières fluctuantes et aux frontières éphémères, mais il pourrait apparaître assez cynique de s’interroger sur la seule dissolution de la frontière alors que notre époque atteste d’une multiplication des frontières physiques solides, telles que les murs. C’est pourquoi nous souhaitons également accueillir des participations qui analysent le lien entre la transformation des fonctions des frontières et l’émergence de nouveaux murs, ne se contentant pas de considérer ces formes comme des résurgences d’anciens réflexes militaires de fortification du territoire national : les murs eux-mêmes peuvent être mobiles, toute visée expansionniste servant à justifier leur déplacement.

Extraits de l'argumentaire de l'appel à contribution, qui posait de nombreux éléments de réflexion sur ce que l'on peut entendre par "Frontières mobiles", et qui a servi de support de travail aux différents intervenants.




Quelques éléments de réflexion sur les "frontières mobiles"

Le colloque réunissait des interventions en français et en anglais. Ce qui a permis de (re-)questionner les différentes approches de la frontière d'une langue à l'autre. De nombreux travaux rappellent, en effet, que dans la recherche en sciences humaines, sociales et politiques, traduire n'est pas une seule question de transcription, dans la mesure où chaque notion et chaque concept impliquent des sous-entendus inhérents à l'épistémologie de chaque discipline pensée dans une langue. Par exemple, si paysage et landscape sont équivalents dans le langage courant, les géographes français et les géographes anglo-saxons ne sous-entendent pas tout à fait la même chose quand les premiers parlent de paysage et les seconds de landscape, dans la mesure où ces deux concepts portent avec eux un "bagage" épistémologique qui est sous-entendu (à ce propos, voir la réflexion de la philosophe Barbara Cassin, qui a dirigé le Vocabulaire Européen des philosophes. Dictionnaire des intraduisibles, sur l'existence d'une géographie du sens des mots : "Dire le monde en plusieurs langues", Cafés géographiques, 25 novembre 2008).

Concernant la frontière, il est bien connu que derrière le concept unique en français, se cachent deux concepts en anglais : border et frontier.La frontière-ligne (border) et la frontière-zone (frontier) sont deux dispositifs spatiaux distincts dans la littérature anglo-saxonne, tandis que le concept de frontière est englobant dans la littérature francophone. 

C'est un des axes permettant de discuter cette notion de "frontières mobiles" : si l'on considère la frontière-zone, c'est-à-dire non seulement le tracé frontalier, mais aussi l'ensemble du dispositif spatial qui dans une zone structurée par ce tracé fait frontière , on peut questionner cette approche de la frontière par les mobilités.

Par exemple, si l'on prend le cas de la frontière internationale entre Etats-Unis et Mexique, la frontière-ligne - border - est une ligne politique structurant une bande frontalière de part et d'autre de cet axe, dans laquelle sont déployés des stratégies de contrôle de l'espace : les Border Patrol du côté étatsunien participent, par leur quadrillage de leur espace, à créer une frontière-zone, c'est-à-dire un espace structuré par l'effet-frontière. Mais cette zone est mouvante, dans la mesure où elle dépend des évolutions de ce marquage de l'espace (marquage à la fois sécuritaire et symbolique).


Les "frontières mobiles" et la ville en guerre : frontières vécues, murs et ponts

Ces constats furent le point de départ pour la réflexion sur la pertinence d'interroger les "frontières mobiles" dans la ville en guerre. Plusieurs intervenants ont appréhendé cette question par l'échelle intraurbaine, notamment dans le cas de l'après-guerre (le géographe Bernard Reitel a ainsi proposé une analyse sur la resémantisation des traces du Mur de Berlin, c'est-à-dire sur une nouvelle mise en langage de ces traces dans la ville, avec un effort récent de patrimonialisation du Mur, inégalement réparti dans la ville, qui tend non seulement à produire un tourisme de mémoire, mais aussi à réinventer la mémoire dans la ville par la mise en visibilité sélective des traces du Mur. D'autres interventions ont porté sur des villes en conflit, telles qu'Hébron (intervention de Brigitte Piquard), ville divisée située dans le Sud de la Cisjordanie (voir également Chloé Yvroux, 2009, "L'impact du contexte géopolitique sur "l'habiter" des populations d'Hébron-Al Khalil (Cisjordanie)", L'espace géographique, n°2009/3, pp. 222-232).

La question des murs, que ce soit les murs matérialisant une frontière internationale (par exemple, l'intervention d'Alexandra Novosseloff sur l'exemple coréen) ou les murs à l'intérieur d'un territoire nationale (avec plusieurs interventions sur la "barrière de sécurité" de Cisjordanie) ont permis de croiser les approches disciplinaires : géographie, science politique et information/communication ont pu ainsi dialoguer sur la question des perceptions et des représentations (par les habitants, par les acteurs de ces aménagements, par les médias) des murs. Des débats ont aussi eu lieu autour de la terminologie à employer : dans le cas des murs, pour continuer sur cet exemple, faut-il parler de frontières matérialisées, de murs frontaliers, de barrières frontalières ?

La question des "frontières mobiles" fut donc particulièrement motivante pour les intervenants, parce qu'elle invitait à se positionner sur ce qui n'est pas intuitif : la frontière dans ses mouvements. Le cas du Sahara occidental (discuté par Karine Bennafla) peut faire ici école, tant cette frontière est mouvante dans son tracé, mais reste néanmoins une discontinuité spatiale ancrée dans les pratiques spatiales (voir aussi Luis Martinez, 2011, "Frontières et nationalisme autour du Sahara occidental", Ceriscope).

La question de la matérialité et de la visibilité des murs a elle aussi été posée : voir le mur suffit-il à faire la frontière ? On retrouve là un des questionnements sur le pont : voir le passage suffit-il à produire une continuité spatiale ? On avait, en écho à l'ouvrage d'Alexandra Novosseloff et de Franck Neisse, Des murs entre les hommes, discuter du pont-frontière dans les villes de Mitrovica et de Mostar (voir "Des ponts entre les hommes : les paradoxes de géosymboles dans les villes en guerre", Cafés géographiques, rubrique Vox geographi, 12 décembre 2009). Le pont a d'ailleurs été discuté et a entraîné des échanges sur la frontière-coupure/frontière-couture, entre discontinuité et dynamique spatiale (voir les articles de ce blog sur le pont).



Quelques retours du colloque Frontières mobiles (BRIT XI)

On peut retrouver des éléments des discussions (notamment un suivi de l'intervention du géographe Michel Foucher sur les frontières africaines) sur twitter (hashtag #BRITxi), notamment sur les comptes Geopolitics2012 et VilleEnGuerreDifférentes publications devraient être mises en place (numéros de revues thématiques, actes en ligne...), on en reparlera prochainement sur ce blog.

La prochaine rencontre du réseau BRIT aura certainement lieu à Fukuoka en novembre 2012. Elle sera certainement l'occasion de nouvelles discussions passionnantes autour du thème de la frontière, trop souvent annoncé comme "bien connu", mais qui pose pourtant aujourd'hui de nombreuses questions renouvelées.



Pour aller plus loin sur les frontières :

Des définitions de la frontière et des espaces frontaliers :
  • Bernard Reitel, "Frontière", Hypergéo.
  • Bernard Reitel et Patricia Zander, "Espace frontalier", Hypergéo.
  • Bernard Reitel et Patricia Zander, "Ville frontalière", Hypergéo.
  • Groupe Frontière, Chritiane Arbaret-Schulz, Antoine Beyer, Jean-Luc Piermay, Bernard Reitel, Catherine Selimanovski, Christophe Sohn et Patricia Zander, "La frontière, un objet spatial en mutation", EspacesTemps.net, rubrique Textuel, 29 octobre 2004.
  • Jacques Lévy, "Frontière", EspacesTemps.net, rubrique Il paraît, 29 octobre 2004. 


Sitographie sélective :


Bibliographie sélective :

Des revues en ligne :

Des ouvrages récents :
  • Michel Foucher, 2008, L'obsession des frontières, Perrin, Paris.
  • Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2005, Tropisme des frontières. Approche pluridisciplinaire, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 1.
  • Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2006, Regards géopolitiques sur les frontières, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 2. 
  • Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard, 2007, Les frontières mondiales. origines et dynamiques, Editions du Temps, collection Une géographie, Paris.
  • Alexandra Novosseloff et Franck Neisse, 2007, Des murs entre les hommes, La Documentation française, Paris (voir un compte-rendu de lecture).
  • Georges Banu, 2010, Des murs... au Mur, Gründ, Paris (voir un compte-rendu de lecture).


mercredi 14 septembre 2011

"Les civils dans les conflits armés" (Champs de Mars n°21 - été 2011)

Les civils dans les conflits armés
Les Champs de Mars, n°21, 2011
Parution : Bénédicte Tratnjek (coord.), 2011, "Les civils dans les conflits armés", Champs de Mars, n°21, La Documentation française,Paris, 172 p. 


Les auteurs du dossier : 
- Julie Chapuis,
- Sophie Dagand,
- Sihem Djebbi,
- Julia Maspero,
- Isabelle Miclot,
- Manon-Nour Tannous,
- Bénédicte Tratnjek.

Les auteurs des recensions : Adam Baczko, Félix Blanc, Stéphanie Jacquet, Gilles Riaux, Camille Sicourmat et Olivier Schmitt.


Résumé du dossier "Les civils dans les conflits armés" : 
"Le lien civil/conflit paraît évident : la discrimination entre combattants et non-combattants a marqué la littérature juridique et les réflexions sur la protection des personnes vulnérables dans les conflits armés. Pourtant, la réalité du terrain est très éloignée de cette dichotomie conceptuelle. Ce numéro de revue est le fruit d'une recherche collective élaborée par de jeunes chercheurs et présente une double caractéristique. La posture adoptée est pluridisciplinaire. L'objectif est de croiser les approches, les terrains et les périodes étudiées : histoire contemporaine, droit, sociologie des acteurs, science politique et géographie ont été mobilisés dans ce numéro dans le but de montrer l'importance d'un décloisonnement académique et de souligner le dynamisme de la recherche stratégique française. Les articles interrogent autant les civils dans la guerre (victimes, vulnérabilité, déplacements forcés...), que les civils face à la guerre (militarisation de la société civile, fragilisation de l'économie, blocus dans l'approvisionnement en vivres...) voire les civils contre la guerre (gestion des conflits par les civils via le rétablissement de l'économie, de la vie politique, de la société civile, participation à la réflexion sur la défense civile, sur la protection des populations dans les guerres...)."



Table des matières :

Introduction : Les civils dans les conflits armés (Bénédicte Tratnjek)


I/ VULNÉRABILITÉ DES POPULATIONS CIVILES DANS LES CONFLITS

- La prise en charge des personnes déplacées en Allemagne par les autorités françaises (mars-mai 1945) (Julia Maspero)

Les migrations de conflit, facteur central de déstabilisation régionale ? Comparaison des migrations palestiniennes et irakiennes au Moyen-Orient (Sihem Djebbi)

Les chrétiens d’Irak et la guerre de 2003 : Douleurs et dilemmes d’une minorité (Manon-Nour Tannous)

Vivre dans une ville en guerre : Les territoires du quotidien entre espaces des combats et espaces de l’enfermement (Bénédicte Tratnjek)



II/ LA GESTION DES CONFLITS PAR LES CIVILS

L’OTAN, les civils et la « guerre future » : Elaboration, planification et enjeux de la défense civile, 1952-1965 (Isabelle Miclot)

De l’élargissement de la notion d’état de droit à la reconnaissance d’une gestion intégrée des questions foncières (Sophie Dagand)

L’affirmation d’une société civile libanaise par les guerres : le cas de deux ONG (Julie Chapuis)