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vendredi 23 décembre 2011

Le paysage-spectacle dans la guerre : L'urbicide, une mise en scène de la haine dans la ville (2)

Les Secondes Journées Doctorales en Paysage (qui eurent lieu les 3 et 4 décembre 2009 à l'Ecole du Paysage de Blois) avaient été l'occasion d'aborder l'approche paysagère comme grille de lecture pour comprendre les conséquences de l'ancrage de la guerre dans la ville, notamment dans ses formes visibles, mais aussi invisibles. Si la question du paysage n'est pas centrale dans le champ des "War Studies", elle n'en démontre pas moins les intentionnalités des acteurs en armes : la question de l'urbicide comme "meurtre rituel de la ville" comme l'a proposé l'architecte et ancien maire de Belgrade Bogdan Bogdanovic ainsi que le groupe d'architectes "Warchitecture" (notamment autour de l'exposition Urbicide Sarajevo qu'ils avaient proposé en 1995) permet non seulement de comprendre la destruction de la ville non comme anéantissement (comme dans le cas, par exemple, des villes anéanties de la Seconde Guerre mondiale), mais comme objectif de guerre, avec l'intention de détruire non pas la ville, mais ce qui fait le "vivre en ville", c'est-à-dire de rendre impossible le "vivre ensemble" dans la ville, en produisant une géographie de la peur de "l'Autre". Un thème qui touche de près la question du "nettoyage ethnique". Si le néologisme d' "urbicide" a été créé à l'occasion des guerres de Croatie (1991-1995) et de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), le phénomène est plus ancien, et s'est déjà appliqué au Liban entre 1975 et 1990. Les acteurs en armes pensent la mise en scène de la destruction pour ancrer un "vivre séparé" dans les pratiques et imaginaire spatiaux, par-delà le temps des combats.

"Les impacts spatiaux de la guerre paraissent évidents, notamment à travers l’aspect visible des destructions. On pense alors au concept d’urbicide créé par Bogdan Bodganovic (architecte et ancien maire de Sarajevo) qualifiant ainsi les "meurtres rituels de la ville", symbolisés par la destruction des villes en ex-Yougoslavie, avec par exemple la destruction de la Bibliothèque de Sarajevo en tant que géosymbole de la ville, espace de rencontre des populations. Mais, Michel Lussault souligne que ce phénomène a déjà eu lieu avant d’être conceptualisé, notamment dans la ville de Beyrouth. Il rappelle d’ailleurs l’intérêt des travaux de Nabil Beyhum, et de sa thèse Espaces éclatés, espaces dominés : étude de la recomposition des espaces publics centraux de Beyrouth de 1975 à 1990 (soutenue à l’Université Lyon II en 1991) qui montre comment le Hezbollah a pensé géographiquement la destruction de Beyrouth" (Michel Lussault, 2008, "Guerillas urbaines", Les Cafés géographiques, compte-rendu du café géographique du 3 octobre 2008, Saint-Dié-des-Vosges).



Les exemples de destructions pensées géographiquement à analyser sous le prisme de l'urbicide restent nombreux. En plus de Sarajevo et de Beyrouth, on pourrait citer Dubrovnik et Vukovar en Croatie, Mostar (notamment son pont) pour la Bosnie-Herzégovine, Nahr el-Bared au Liban, le quartier rom ou le cimetière serbe à Mitrovica... Il faut ajouter à cette approche par la symbolique des lieux la question de la (re)construction, comme en témoigne la problématique des lieux de mémoire dans les villes en guerre. Cette "haine monumentale" (François Chaslin, 1992, Une haine monumentale: essai sur la destruction des villes en ex-Yougoslavie, Descartes & Cie, 106 p.) s'inscrit dans le paysage et questionne la ville détruite (et non l'anéantissement de la ville à des fins tactiques/stratégiques - notamment pour l'avancée des troupes - comme dans le cas de la Seconde Guerre mondiale). C'est donc la question de la violence symbolique par la destruction qui se retrouve au coeur de ces questionnements : "la démolition (est) partie prenante des violences faites aux populations, dans le cadre d'un conflit, d'une occupation. (...) la démolition (est) plus banalement partie intégrante de l'affirmation d'un pouvoir, ou plus exactement d'un changement de pouvoir, ce qui représente une violence à caractère symbolique" (Vincent Veschambre, 2008, Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, collection Géographie sociale, p. 114).


Après le billet proposant la présentation power-point proposée lors de ces Secondes Journées Doctorales en Paysage ("Le paysage-spectacle dans la guerre : L'urbicide, une mise en scène de la haine dans les villes", 14 décembre 2009), voici le lien vers le texte préparatoire (qui ne vise nullement à être un texte définitif) concernant l'intervention sur l'urbicide comme mise en scène et mise en spectacle du paysage dans l'acte de destructions dans les villes.


"Les paysages de guerre doivent être analysés en fonction de leurs réalités et de leurs représentations pour les belligérants comme pour les habitants. Les différents acteurs de la ville n‘accordent pas la même importance et la même valeur aux ruines. Cette inégalité provient de l’espace vécu (le paysage comme territoire du quotidien) et de l’espace symbolique (le paysage comme construit social) différenciés pour chaque individu. A l’heure de la forte médiatisation des conflits, les belligérants ne recherchent pas seulement des avantages militaires : le paysage n’est plus seulement un objet dans la guerre (théâtre des affrontements), mais devient également un sujet (scène d’un discours des belligérants). On interrogera donc la mise en spectacle des violences à travers l’utilisation de lieux devenant, par leur destruction, des géosymboles de l’action politique des belligérants".





Quelques sources pour comprendre l'urbicide :
  • François Chaslin, 1992, Une haine monumentale: essai sur la destruction des villes en ex-Yougoslavie, Descartes & Cie, 106 p. (voir une recension du géographe Vincent Veschambre pour la revue Norois, 2000, n°185, p. 70).
  • Bogdan Bogdanovic, 1993, "L'urbicide ritualisé", dans Véronique Nahoum-Grappe (dir.), 1993, Vukovar, Sarajevo… La guerre en ex-Yougoslavie, Editions Esprit, Paris, pp. 33-38.
  • Bogdan Bogdanovic, 1993, Murder of the City, New York of Books, New York, traduit du serbo-croate.
  • Stephen Graham (dir.), 2004, Cities, War and Terrorism: Towards an Urban Geopolitics, Blackwell, 384 p. (voir un aperçu).
  • Robert Bevan, 2006, The destruction of memory: architecture at war, Reaktion, 240 p. (voir un aperçu).
  • Vincent Veschambre, 2008, "Destructions, démolitions et violences à caractère symbolique", Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, collection Géographie sociale, pp. 97-117 (voir un compte-rendu de lecture de Jean-Philippe Raud-Dugal pour Les Cafés géographiques, 7 janvier 2009).
  • Martin Coward, 2009, Urbicide: the politics of urban destruction, Routledge, 161 p. (voir un aperçu et le chapitre introductif).
  • Adam Ramadan, 2009, « Destroying Nahr el-Bared: Sovereignty and urbicide in the space of exception », Political Geography, vol. 28, n°3, mars 2009, pp. 153-163.
  • Sara Fregonese, 2009, « The urbicide of Beirut? Geopolitics and the built environment in the Lebanese civil war (975-1976) », Political Geography, n°28, pp. 309-318.
A noter que dans les travaux anglo-saxons, la notion d'urbicide a souvent pris un sens plus englobant que dans les travaux francophones, désignant des types de destructions de la ville plus élargies. C'est donc un réel effort de conceptualisation qu'il reste à faire pour comprendre les destructions de guerre et leurs conséquences visibles/invisibles dans l'immédiat après-guerre.


Des sources Internet sur la question de l'urbicide :


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